La Folie - MML Savin

L’Apocalypse 331
Relevant la tête, elle vit Blanchonval, respectueux du silence et de
la rêverie comme il était naturel à Blanchonval.
- Vous vous amusez autant que moi, je pense, dit Blanchonval.
- Sommes-nous ici pour nous amuser, répondit la rêveuse.
Marka s’amuse mais les autres ?
Les autres qui étaient beaucoup de torses dans la nuit mauve presque
tous les hommes, et déjà des tentatives à demi parmi les femmes, tous
plus ou moins vautrés, langueur et licence équatoriales. Soudain la voix
du tragédien les redressa :
- Alerte, cria le tragédien, Marka est en chasse ! Il
s’annonce par l’odeur comme un lion...
Du polaire au tropical, c’était Marka, un semblant de pyjama tropical
par décence. « Eh bien ! qu’il chasse ! » soupira la dame aux flanc
poli de l’archiduc. Ce n’était que petite chasse, sans déploiement de cérémonie
royale. À peine si Marka humait de loin, apparaissant, disparaissant.
Il ne rugissait pas, il ne ronronnait pas ; un fauve inquiet plus qu’un
fauve chasseur ; les sudistes vaguement redressés bientôt alanguis de leur
langueur puis vautrés. La nuit n’était plus que du mauve sans reflet citron.
Tous les couples flairés et dénombrés aux confins de la nuit, près de
l’orchestre, il ne restait plus que ce couple hors de langueurs, un pyjamasmoking
debout devant un pompon de mousse sur un pouf.
- Toujours ensemble ! gronda le fauve, l’amour est libre.
Amusez-vous, les enfants, frottez-vous. Vous avez raison.
- On s’amuse comme on peut, répliqua le mousse. Pour se
frotter, on se frotte. N’est-ce pas Blanchonval ?
Le fauve retroussa ses babines.
- Et les jambes ? Qu’avez-vous fait des jambes ?
- Blanchonval doit avoir les siennes, répondit le mousse,
voici les miennes ! Et aussi leste qu’une danseuse étoile leva une jambe
puis l’autre jusqu’aux babines ; Blanchonval comme encombré de ses
jambes l’air d’un coupable.
- Il ne s’agit pas des vôtres, mes doux amis, gardez-les,
vous en avez trop besoin.
- J’ai compris, s’écria le mousse, les jambes, celles qui
sautent à l’échelon planétaire, music-hall ou cinéma, va comme je te
danse ! Et se remit à lever ses jambes, l’une l’autre, dans une ferveur de
danse.
- Moi aussi je danse !... on croirait que je danse... ce n’est
pas vrai. Comment danserais-je ? Je n’ai point de jambes. Comme Blanchonval
qui n’a que des jambes de pyjama. Lui c’est bien clair.