La Folie - MML Savin
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328 La Folie - Allez-y à votre pôle, chers ! congeler s’il vous plaît ! Je ne force personne. J’aime la chaleur, moi. La chaleur, c’est presque l’amour. Les deux chers suivirent la dame, qui répétait : - Marka est fou. C’est un homme dangereux, un cruel. Les voilà qui disent qu’il joue les ex-danseurs et son ami le tragédien, autre fou, comme il est fou de tirer sur ses ficelles ! Ma parole ! Il va se faire éclater le coeur... - Pour une fois il serait tragique, dit le jeune homme. Le mot n’était pas de lui mais d’une illustre tragédienne que l’on redoutait pour son esprit et dont on colportait les mots. L’archiduc fut si content du mot qu’il prit le garçon rougissant par l’épaule. « En route vers le Sud ! L’expédition ne sera pas facile. » Il fallait résister à la houle de tous ceux qui désiraient des extenseurs et que la basse de Marka attirait et troublait comme l’eut fait le chant des sirènes. « Tendez ou vous mourrez de froid ! » Victorieuse enfin de la houle, « quand je vous dis que cet homme est dangereux, fit la dame, moi qui m’enrhume pour un courant d’air !... » Ceux qui avaient suivi les pancartes sud, ignoraient tout de l’apparition des jambes, de l’extase et de la nuée boréale. Ils cuisaient, ils fondaient dans une sorte de serre immense, où des lianes, d’un mur à l’autre, balançaient des perruches bleues ou jaunes. Le terrible Marka avait inventé de chauffer cette serre comme si la neige obstruait le boulevard Raspail. Quand les sudistes y arrivèrent, en procession derrière les pancartes, d’énormes ventilateurs et des jets d’eau aux quatre coins, mêlaient si judicieusement fraîcheur et chaleur qu’on se réjouissait de la chaleur. Un tango préludait à l’orchestre, il ne paraissait point fabuleux de danser et l’on dansa. Les perruches voltaient de liane en liane. La musique aidant, on ne s’aperçut point que les ventilateurs s’étaient arrêtés l’un après l’autre, que les perruches s’étaient endormies de chaleur et certes personne n’aurait soupçonné que l’eau des jets d’eau n’était plus de l’eau glacée mais de l’eau chaude. Les couples de danseurs s’affaissaient sur des nattes, sur des sofas, aussi stupides que des perruches. Il roulait des parfums lourds qui insinuaient un désir de sieste et d’amour. Les nouveaux arrivants s’écroulaient l’un après l’autre, après un vague essai de tango. Les japonais offraient des éventails, mais à peine avait-on le courage de s’éventer. Et comment résister à l’envie d’entrouvrir le pyjama, fut-il de la soie la plus légère, voir de s’en défaire ? La lumière, d’abord alternativement mauve et citron, à temps égaux, n’était plus qu’un crépuscule mauve, avec des brusques éclats de citron, le mauve de plus en plus perfide et crépusculaire. Ce serait bientôt la nuit des tropiques, balayée d’éclairs. Des torses nus ça et là semblaient des torses d’or. Le
L’Apocalypse 329 premier qui avait osé était une espèce de géant roux, en pyjama roux, qui fut un superbe Jupiter, le torse du même roux que sa veste de pyjama quand il eut ôté sa veste. D’une voix merveilleusement instrumentale, il avait psalmodié cette étrange déclaration avant d’ôter : « Un vêtement ce n’est jamais que de la couleur. Couleur de soie ou de peau, où donc est la différence, si la couleur est la même ? » La déclaration était si persuasive que le jeune homme aux belles dents qui l’entendit, se débarrassa de sa veste sans plus attendre, bien que son pyjama fut tourterelle et son torse d’ivoire rose. Ni la dame ni l’archiduc ne s’en étonnèrent. Cette chaleur musquée était un peu sorcière. La logique cédait. Tout devenait possible. La dame en était à rêver que si elle avait l’audace d’ouvrir sa veste, son torse en serait aussi ferme qu’un bois des îles. Un éclair de citron dans la nuit mauve lui rendit le sens de justesse : on pouvait compter sur la nuit mais il était convenable de surseoir. Autant de paresse et de lenteur aux esprits qu’aux éventails. Les sudistes se doutaient-ils seulement que ce tango, que l’orchestre reprend pour la vingtième fois, est un arrangement de Mozart en tango ? Une cape noire est peut-être seule à le savoir. Quelle idée de garder une cape de velours noir ? Mais nul n’a remarqué cette cape quand elle s’est posée sur le pouf un peu à l’écart. Il fait trop chaud. Le tragédien luimême arrivant du pôle a donné de la voix, daignant offrir à l’admiration tropicale un torse d’ailleurs illustre, ni roux ni rose, et nul ne l’a remarqué. À l’écart près du pouf, un mousse de marine s’est assis en tailleur un éventail à la main. - Voulez-vous un éventail ? demande le mousse à la cape noire. Entre capes et tricornes de diable un visage de princesse à sourit. - Ou plutôt que je vous évente ! reprend le mousse, vous êtes si belle ! Et le mousse de cette aile d’éventail évente la belle. La princesse malgré l’uniforme réglementaire ne se trompe pas à la main qui l’évente. L’hommage à la beauté quand il vient d’une femme, et sincère comme paraît celui-là, c’est le comble de l’hommage. Mozart sous le travesti du tango se charge de développer l’hommage. Le mousse, après Mozart : - Je vous aime et je vous déteste. Cette aile dont je vous évente est-elle l’amour ou bien la haine ? - Pourquoi la haine, dit la princesse, tout au délice du léger vent de l’aile. On peut aimer sans connaître. Pour haïr, il faut connaître. Me connaissez-vous ? - Assez pour que j’hésite entre vous haïr ou vous aimer.
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premier qui avait osé était une espèce de géant roux, en pyjama roux, qui<br />
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quand il eut ôté sa veste. D’une voix merveilleusement instrumentale, il<br />
avait psalmodié cette étrange déclaration avant d’ôter : « Un vêtement ce<br />
n’est jamais que de la couleur. Couleur de soie ou de peau, où donc est la<br />
différence, si la couleur est la même ? »<br />
<strong>La</strong> déclaration était si persuasive que le jeune homme aux belles<br />
dents qui l’entendit, se débarrassa de sa veste sans plus attendre, bien que<br />
son pyjama fut tourterelle et son torse d’ivoire rose. Ni la dame ni<br />
l’archiduc ne s’en étonnèrent. Cette chaleur musquée était un peu sorcière.<br />
<strong>La</strong> logique cédait. Tout devenait possible. <strong>La</strong> dame en était à rêver<br />
que si elle avait l’audace d’ouvrir sa veste, son torse en serait aussi ferme<br />
qu’un bois des îles. Un éclair de citron dans la nuit mauve lui rendit le<br />
sens de justesse : on pouvait compter sur la nuit mais il était convenable<br />
de surseoir. Autant de paresse et de lenteur aux esprits qu’aux éventails.<br />
Les sudistes se doutaient-ils seulement que ce tango, que l’orchestre reprend<br />
pour la vingtième fois, est un arrangement de Mozart en tango ?<br />
Une cape noire est peut-être seule à le savoir. Quelle idée de garder une<br />
cape de velours noir ? Mais nul n’a remarqué cette cape quand elle s’est<br />
posée sur le pouf un peu à l’écart. Il fait trop chaud. Le tragédien luimême<br />
arrivant du pôle a donné de la voix, daignant offrir à l’admiration<br />
tropicale un torse d’ailleurs illustre, ni roux ni rose, et nul ne l’a remarqué.<br />
À l’écart près du pouf, un mousse de marine s’est assis en tailleur<br />
un éventail à la main.<br />
- Voulez-vous un éventail ? demande le mousse à la cape<br />
noire.<br />
Entre capes et tricornes de diable un visage de princesse à sourit.<br />
- Ou plutôt que je vous évente ! reprend le mousse, vous<br />
êtes si belle ! Et le mousse de cette aile d’éventail évente la belle. <strong>La</strong><br />
princesse malgré l’uniforme réglementaire ne se trompe pas à la main qui<br />
l’évente. L’hommage à la beauté quand il vient d’une femme, et sincère<br />
comme paraît celui-là, c’est le comble de l’hommage. Mozart sous le travesti<br />
du tango se charge de développer l’hommage. Le mousse, après<br />
Mozart :<br />
- Je vous aime et je vous déteste. Cette aile dont je vous<br />
évente est-elle l’amour ou bien la haine ?<br />
- Pourquoi la haine, dit la princesse, tout au délice du léger<br />
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Me connaissez-vous ?<br />
- Assez pour que j’hésite entre vous haïr ou vous aimer.