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La Folie - MML Savin

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<strong>La</strong> <strong>Folie</strong><br />

- Allez-y à votre pôle, chers ! congeler s’il vous plaît ! Je<br />

ne force personne. J’aime la chaleur, moi. <strong>La</strong> chaleur, c’est presque<br />

l’amour.<br />

Les deux chers suivirent la dame, qui répétait :<br />

- Marka est fou. C’est un homme dangereux, un cruel. Les<br />

voilà qui disent qu’il joue les ex-danseurs et son ami le tragédien, autre<br />

fou, comme il est fou de tirer sur ses ficelles ! Ma parole ! Il va se faire<br />

éclater le coeur...<br />

- Pour une fois il serait tragique, dit le jeune homme.<br />

Le mot n’était pas de lui mais d’une illustre tragédienne que l’on<br />

redoutait pour son esprit et dont on colportait les mots. L’archiduc fut si<br />

content du mot qu’il prit le garçon rougissant par l’épaule. « En route vers<br />

le Sud ! L’expédition ne sera pas facile. » Il fallait résister à la houle de<br />

tous ceux qui désiraient des extenseurs et que la basse de Marka attirait et<br />

troublait comme l’eut fait le chant des sirènes. « Tendez ou vous mourrez<br />

de froid ! »<br />

Victorieuse enfin de la houle, « quand je vous dis que cet homme<br />

est dangereux, fit la dame, moi qui m’enrhume pour un courant d’air !... »<br />

Ceux qui avaient suivi les pancartes sud, ignoraient tout de<br />

l’apparition des jambes, de l’extase et de la nuée boréale. Ils cuisaient, ils<br />

fondaient dans une sorte de serre immense, où des lianes, d’un mur à<br />

l’autre, balançaient des perruches bleues ou jaunes. Le terrible Marka<br />

avait inventé de chauffer cette serre comme si la neige obstruait le boulevard<br />

Raspail. Quand les sudistes y arrivèrent, en procession derrière les<br />

pancartes, d’énormes ventilateurs et des jets d’eau aux quatre coins, mêlaient<br />

si judicieusement fraîcheur et chaleur qu’on se réjouissait de la chaleur.<br />

Un tango préludait à l’orchestre, il ne paraissait point fabuleux de<br />

danser et l’on dansa. Les perruches voltaient de liane en liane. <strong>La</strong> musique<br />

aidant, on ne s’aperçut point que les ventilateurs s’étaient arrêtés l’un<br />

après l’autre, que les perruches s’étaient endormies de chaleur et certes<br />

personne n’aurait soupçonné que l’eau des jets d’eau n’était plus de l’eau<br />

glacée mais de l’eau chaude. Les couples de danseurs s’affaissaient sur<br />

des nattes, sur des sofas, aussi stupides que des perruches. Il roulait des<br />

parfums lourds qui insinuaient un désir de sieste et d’amour. Les nouveaux<br />

arrivants s’écroulaient l’un après l’autre, après un vague essai de<br />

tango. Les japonais offraient des éventails, mais à peine avait-on le courage<br />

de s’éventer. Et comment résister à l’envie d’entrouvrir le pyjama,<br />

fut-il de la soie la plus légère, voir de s’en défaire ? <strong>La</strong> lumière, d’abord<br />

alternativement mauve et citron, à temps égaux, n’était plus qu’un crépuscule<br />

mauve, avec des brusques éclats de citron, le mauve de plus en<br />

plus perfide et crépusculaire. Ce serait bientôt la nuit des tropiques, balayée<br />

d’éclairs. Des torses nus ça et là semblaient des torses d’or. Le

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