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La Folie - MML Savin

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L’Apocalypse 325<br />

- Ça ! Qu’on m’enlève ma peau d’ours, dit l’ours. Moi non<br />

plus, je ne suis pas l’ours que l’on pense.<br />

En un clin d’oeil à son ordre, les esquimaux toujours danseurs lui<br />

déboutonnèrent sa peau d’ours, et, quand ils l’eurent débarrassé du museau<br />

et de la muselière :<br />

- C’est moi, l’ours Aristide ! dit Aristide. D’un geste gracieux,<br />

il ouvrit la porte transparente dans la cloison de verre. Entrez, je<br />

vous en prie, Mesdames et Messieurs ! C’est ici la république libre des<br />

esquimaux libres ! Entrez ! Vous y serez libres. C’est une aubaine. <strong>La</strong><br />

liberté ! Partout on en parle, mais qui vous la donne ? Moi, Marka, je<br />

vous la donne. À une seule condition : ne pas prendre froid ! Et contre le<br />

froid, tout est permis, le catch, la boxe, la danse, l’amour. Eux, ont choisi<br />

la danse : dansez si la danse vous plaît ; faites l’amour, si vous préférez.<br />

Je répète que vous êtes libres. Mais si vous redoutez les entorses, ou si<br />

quelque pudeur de jolies jambes, comme il y en a, bien que les jolies<br />

jambes soient assez rares... Mais les jambes de premier plan, devant les<br />

autres, on se dit, en les voyant, qu’il n’y en a pas. On ne leur demande pas<br />

de sauter, de définir l’équilibre, de tourner de plus en plus vite. Quelle<br />

preuve ou quelle performance exiger d’une déesse, quand il est si clair<br />

qu’elle est déesse, à seulement contempler des jambes ?<br />

C’est ainsi qu’ils contemplaient, l’archiduc, la dame, le tragédien,<br />

tous, même le mousse de marine au dernier rang. Un désir leur montait<br />

dans l’âme de se prosterner, de jeter des fleurs, de dire cérémonieusement<br />

: « Madame » sans regarder plus haut que les jambes. Même ils admiraient<br />

le galbe, comme d’une tige ou d’une amphore, avant de se dire que<br />

c’était des jambes. C’était un triomphe pur, comme celui de l’art ; plus<br />

pur que l’art, car il reste toujours de l’impur dans une statue qui est Diane<br />

ou qui est Apollon, une langueur, une gracilité dans la grâce, on ne sait<br />

quoi qui se penche, qui cherche ou qui s’abandonne, une complaisance,<br />

l’impudeur de la pudeur, le mouvement sans mouvement, qui s’approche<br />

et qui désire le désir. Les jambes, au-dessus d’une foule émerveillée,<br />

avaient l’innocence de l’Eden au premier matin. Le Saint Père, ou de sa<br />

part, l’évêque archevêque, attentif comme il l’était aux signes les plus<br />

discrets de la grâce, les auraient bénis, en souvenir des jambes d’Eve<br />

avant la faute. Un collant noir, en jersey de soie naturelle, collait si étroitement<br />

à la peau que tout était présent et sensible, muscles et fossettes<br />

sous le collant noir, et cette soie aurait eu de quoi troubler ; mais, par<br />

bonheur le collant était fendu de la cheville au genou et laissait voir la<br />

jambe nue qui était si blanche, si pure, d’une telle soie de paradis que cela<br />

innocentait le collant noir.<br />

À cette blancheur, le tragédien, d’une inspiration subite, s’écria :<br />

« C’est elle ! » et comme en écho, la clameur d’une foule : « C’est elle

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