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La Folie - MML Savin

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<strong>La</strong> <strong>Folie</strong><br />

main prompte, sans rien toucher de superflu, ce que c’était que la tablature,<br />

le luth simple et le théorbé : enfin tout un cours, de cette érudition<br />

libre et chaleureuse, qui était celle de Moser quand il était le professeur<br />

de sa fille ; Jacques toujours ému de retrouver dans le sabir l’humeur de<br />

son oncle Poliche. « Comme si vous n’aviez jamais entendu de luth !<br />

s’écriait Moser. Et cet air de basse, dans la Passion selon Saint-Jean, ce<br />

n’est pas un luth qui l’accompagne ?.. À votre tour, Jacques ... Plus droit<br />

! Le manche moins dressé ! <strong>La</strong> dignité sans la raideur ... Il a de l’oreille,<br />

ce garçon-là. Dix ans de travail, il jouerait passablement... » Quand le<br />

professeur, certains dimanches, disait à Ilse : « Va donc te promener avec<br />

Jacques. J’ai trop de travail pour bouger d’ici. » Jacques emportait le<br />

luth. Sur l’herbe de quelque clairière, au bois de Verrière ou à Meudon,<br />

Ilse chantait, Jacques égrenait les arpèges.<br />

- Ce que nous faisons Bavière ! disait Ilse. J’ai envie de te<br />

coudre des flots de rubans.<br />

- Non merci ! mademoiselle Bavière ... répliquait Jacques.<br />

J’aurais l’air fin, sous tes rubans !<br />

Voilà comment on s’amourache d’un luth jusqu’à devenir, en s’en<br />

défendant, une manière de collectionneur.<br />

Jacques s’était levé après la Sarabande ; il allait rendre le luth au<br />

Colonel, mais il se rassit, et de nouveau accorda le luth, comme il était<br />

nécessaire, un luth aussi précieux que celui-là ne tenant pas longtemps<br />

l’accord. - Vous permettez, mon Colonel ?<br />

S’il permettait ! Il aurait supplié, plutôt. « N’est-ce pas, Liliane ?»<br />

Liliane, sans répondre, se contenta de regarder le joueur de luth, de ce<br />

regard sous les cils qui faisait dire à Nestor : « Regarde-t-elle jamais<br />

quelqu’un ?» Jacques, avant de jouer :<br />

- Je ne connais pas l’auteur. <strong>La</strong> musique doit être fort ancienne.<br />

À peine Jacques préludait-il, le regard de Liliane se demanda sous<br />

les cils : « Où donc ai-je entendu cette musique-là ?» Si Liliane avait<br />

regardé son grand-père, elle aurait vu un visage d’extase, tout ce que peut<br />

exprimer de jubilation céleste le visage d’un Colonel. Il est vrai que Jacques<br />

jouait cela à l’angélique, comme on disait jadis. C’était une aubade,<br />

par l’allégresse, presque une marche ; une sérénade aussi, qui avait de la<br />

langueur et de la mélancolie malgré la vivacité, un mélange piquant de<br />

glorieux, du pompeux et du tendre, comme si le coeur se reprochait d’être<br />

si tendre et se fardait de gloire, une nostalgie de tendresse sous une bravoure<br />

d’apparat. <strong>La</strong> pièce était assez brève et se terminait par des accords

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