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La Folie - MML Savin

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<strong>La</strong> <strong>Folie</strong><br />

louses, après l’orage, ou les tilleuls de la Saint-Jean. Monsieur Maurras,<br />

dans ses chroniques les meilleures, ne disait jamais si juste. Il se travaillait<br />

à dire. Ce qu’il faut dire n’a pas besoin d’être travaillé. Dire que l’on<br />

respire ? Ce n’est pas la peine, si l’on respire. Le Colonel ne s’en tirait<br />

même plus le doigt. Il avait envie de dire : « Liliane ! Liliane !» Mais si<br />

Liliane sentait, comme on sent l’herbe des pelouses ou les tilleuls, à quoi<br />

bon l’avertir ? Et si Liliane ne sentait pas la différence entre<br />

Louis-Philippe et les tilleuls, qui l’avertirait de la différence ?<br />

Le Colonel, qui s’était mouché, venait de faire quelque chose que<br />

jamais il n’avait cru possible de faire pour personne. Il avait ouvert une<br />

vitrine, il avait pieusement retiré un luth, qui était un coeur autrefois. Il<br />

lut une date et la fit lire : 1694. « <strong>La</strong> <strong>Folie</strong>, dit-il, doit dater de cette année-là.<br />

J’ai lu cette date sur une pierre, parmi les cuirasses, les casques et<br />

les panaches. C’est la date d’un coeur ; heureux ou malheureux, qui pourra<br />

dire ? Ce coeur chantait, voici son luth.»<br />

Pontaincourt déposa le luth sur le coeur de Jacques. C’était un luth<br />

théorbé, au double de ses cordes.<br />

- Le beau luth ! dit Jacques. Comme il épouse le corps...<br />

Comme il fait corps ! Que jouer sur ce coeur ? Un garçon d’aujourd’hui,<br />

s’il jouait son coeur, ferait craquer toutes les cordes. D’abord l’accorder,<br />

ce n’est pas une petite affaire.<br />

Jacques prit tout son temps pour accorder.<br />

- Vous êtes un peu plus qu’un amateur, remarqua le Colonel.<br />

- Le plus difficile est d’accorder, et fixer le ton où l’on accorde.<br />

Choisir le ton, car on ne peut changer. Nous autres, nous passons<br />

d’un ton à l’autre. Le passage est notre musique. Aimer, ne plus aimer, se<br />

délivrer de l’amour pour encore aimer, c’est notre amour. Un Luth ne<br />

chantait que l’amour fidèle, celui qui vit et qui meurt sans changer de ton.<br />

Afin d’accorder plus à l’aise, il s’était assis sur une banquette, du<br />

même bois doré que les galeries, une jambe longue, l’autre repliée, le<br />

buste droit, la tête un peu tournée, d’un regard sans fadeur, les deux bras<br />

très souples, une main tendant et fixant les cordes ; l’autre, du pouce, essayait<br />

les accords. « Je reconnais, se disait Liliane, qu’il n’a pas les mains<br />

d’un menuisier.» Le Colonel, émerveillé :<br />

- Il ne vous manque qu’un chapeau à plumes, mon cher, un<br />

rabat et des manchettes de dentelles ! Vous êtes Damon jouant de<br />

l’Angélique !

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