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La Folie - MML Savin

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<strong>La</strong> <strong>Folie</strong><br />

Elle se promenait à travers l’atelier, moins en visiteuse qu’en promeneuse.<br />

Elle tournait un cadre. Elle soulevait un bibelot, bronze ou<br />

faïence. Elle considérait longuement une estampe ou une gravure. Elle<br />

allait et revenait, de ce pas de nonchalance étudiée qu’elle aurait eu dans<br />

la boutique d’un brocanteur.<br />

- Vous réparez un peu tout. Vous êtes une sorte d’artiste.<br />

C’est une façon plaisante d’être ouvrier. Vous vivez dans une espèce de<br />

musée. Rien ne vous empêche d’imaginer que ces belles choses sont à<br />

vous. Et vous avez de très belles choses ici. Cette horloge paysanne, par<br />

exemple : quelle sobriété de lignes ! Un meuble qui a de la race...<br />

Jacques, sans sourciller :<br />

- Lerrand saurait vous en dire l’époque et la provenance.<br />

Mais nous avons à peu près le même à <strong>La</strong> Châteliére. Plus racée encore<br />

que celle-ci, peut-être. Une Ille-et-Vilaine, fin dix-huitième, l’horlogerie<br />

de même. Mon oncle ne laissait à personne le soin de remonter les poids<br />

chaque semaine. Et quel soin ! Acheter une telle horloge est un plaisir.<br />

Mais l’avoir à soi depuis toujours !..<br />

Comme elle s’arrêtait devant un secrétaire du Directoire le plus pur<br />

:<br />

- Lerrand, dit Jacques, n’a pas son pareil, pour tout ce qui<br />

concerne les secrétaires. Ils n’ont pas de secret pour lui. L’art de cacher,<br />

sans en avoir l’air ! Il ne suffit que d’un peu de patience : le plus secret de<br />

ce secret livre son secret. Nous avons été élevés chez les Jésuites, Lerrand<br />

et moi. Nous avons profité de leurs leçons.<br />

Les doigts légers de la visiteuse jouaient du tambour sur la tablette<br />

Directoire. Sans entendre ni voir, Jacques ouvrit un étui de cigarettes, or<br />

et vermeil, et proposa :<br />

- Des américaines à la menthe ? C’est pour dire que l’on<br />

fume...<br />

Elle allait répondre : « Je ne fume pas» (elle aurait dû répondre :<br />

Je n’ai jamais fumé) mais elle prit une cigarette, d’un geste aussi nonchalant<br />

que sa démarche de promeneuse, alluma, fuma, comprit aussitôt ce<br />

que cela pouvait ajouter de hauteur et de distance à la nonchalance. <strong>La</strong><br />

belle fumeuse n’a plus d’autre idée que de repérer, ici ou là un cendrier.<br />

On ne dit rien, c’est que l’on fume. Que l’autre parle ! Ou, s’il fume,<br />

c’est un silence à deux fumées, aussi longtemps que l’on souhaite protéger<br />

le temps du silence.<br />

- Votre ami serait-il luthier ? demanda-t-elle, à sa moitié de<br />

cigarette américaine.<br />

- Pourquoi, luthier ?<br />

- Que j’aimerais savoir, dit-elle. Et toucher en m’accompa-<br />

gnant !

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