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La Folie - MML Savin

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304<br />

<strong>La</strong> <strong>Folie</strong><br />

qu’elle était sourde, comme un chef se doit d’être sourd ; et pourtant, aux<br />

propos de Jacques et de <strong>La</strong>ngouste, le face-à-main sursautait sur les genoux<br />

osseux de la dame, la veste mal boutonnée se gonflait et se froissait.<br />

À la tirade de Madame Arthur sur les hommes, son don de soi, ses confidences,<br />

un flacon de sels vola de lui-même aux narines du masque et la<br />

balafre murmura un « Je vous en prie» qui ne pouvait s’adresser qu’à la<br />

Patrie, car les deux autres du balcon, visiblement, ne se doutaient pas de<br />

la métamorphose du balcon en tribune ni si le garçon d’azur parlait tout<br />

de bon. <strong>La</strong> pensée était noble, authentiquement française, si le ton avait<br />

quelque chose de désinvolte. C’était bien dit ; trop bien, peut-être. Mais<br />

qui oserait accuser de trop bien dire sur de pareils sujets ? Tout portait<br />

l’esprit à la grandeur, le lieu, les drapeaux, les souvenirs et les périls. Il y<br />

a des moments où l’éloquence va de soi. Au reste, le jeune homme laissait<br />

voir qu’il était sensible. Il se penchait avec une sorte d’affection. Il guettait<br />

un retour de vie, qui se faisait attendre. Il essuyait l’écume de son<br />

mouchoir. Il interrogeait la dame d’un regard inquiet quand elle cherchait<br />

à saisir les pieds, la grimace de son masque sans aucun sourire. « J’ai ce<br />

qu’il faut » dit-elle. Elle sortit un petit nécessaire, la seringue, l’ampoule,<br />

l’aiguille. « Cela ne me quitte jamais. Tout est stérilisé d’avance.» Une<br />

fierté éclairait le masque de plâtre et de poudre, celle de servir toujours et<br />

partout. Sainte <strong>La</strong>ideur oubliait d’être si laide. Cette exactitude à servir<br />

aurait pu ressembler à de la bonté. Pendant qu’elle opérait, précise et rapide,<br />

et se demandait: « Serait-ce sa mère ? Dans ce triste monde, qui est<br />

le nôtre, tout est possible...» Elle rangea son nécessaire et conclut : «<br />

Quelques centicubes de solucamphre, c’était le plus sage. Le pouls va<br />

revenir. Il revient déjà. « Puis, la balafre s’efforçant de sourire: « Seraitce<br />

votre ...?» Elle trôna, hésitant à terminer la question. Mais Jacques, de<br />

cette simplicité inimitable qui était le privilège de <strong>La</strong> Châtelière : « c’est<br />

ma concierge.»<br />

« C’est ma concierge.» <strong>La</strong> dame faillit tomber d’une syncope elle<br />

aussi, tandis que la <strong>La</strong>ngouste, rose de nouveau, surgissait peu à peu de la<br />

sienne.<br />

- Où que je suis ? Pourquoi qu’on m’a couchée sur la<br />

pierre ? C’est donc ici le cimetière ? Je serai morte sans le savoir. Arthur<br />

ne m’aura rien dit. Il a eu raison. À quoi ça sert le tracasser les mourants ?<br />

Ils auront bien le temps de se rendre compte. Quand on est mort, le plus<br />

dur est fait. On est tranquille. On n’a plus à craindre de mourir. Arthur !...<br />

Ah ! c’est vous, M’sieur Jacques. C’est bien gentil à vous de remplacer<br />

mon crétin d’Arthur. Pourquoi je suis sur la pierre, et pas dessous puisque<br />

je suis morte ? C’est la Toussaint, que vous venez me voir ... Vous n’avez

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