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La Folie - MML Savin

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Pour la Patrie ! 303<br />

Tout à coup, Madame Arthur recula les bras en croix, tourna<br />

comme une toupie, ouvrant une bouche en four d’où ne sortait plus aucun<br />

cri, les joues violettes, la nuque bleue, à peine un moins bleue que les<br />

bouclettes. Puis elle s’abattit juste à côté de la dame, sans voir la dame.<br />

Jacques au secours, dépliant un mouchoir, agitant le mouchoir sur le visage<br />

convulsé, dégrafant le col du corsage, frappant de ses mains les<br />

mains, enfin tout ce qu’on fait quand on ne sait pas quoi faire. Mais la<br />

dame de deuil savait, - Vous permettez, jeune homme ?<br />

- Je vous en prie dit le jeune homme, si vicomte dans le naturel<br />

de la politesse que le face-à-main suspendit jusqu’à nouvel ordre<br />

toute sorte de jugement. (Après tout, le bleu d’azur n’avait-il pas été<br />

l’azur de ces uniformes, inséparables de la Victoire ? Et vous, azur sombre<br />

sur azur, ligne bleue des Vosges !).<br />

- Aidez-moi dit-elle. Jacques aida.<br />

<strong>La</strong> <strong>La</strong>ngouste ne retrouvait plus son souffle. Elle se figeait du bleu<br />

au blanc, l’écume aux lèvres. <strong>La</strong> dame gouvernait, tenant les pieds, le<br />

Vicomte tenant 1e buste par le dessous des bras. Ils l’étendirent, tout de<br />

son long, sur le balcon au fracas de l’artillerie motorisée, qui défilait à<br />

son tour. « Ce serait un beau jour pour mourir, dit Jacques. Une âme qui<br />

prendrait son essor au-dessus de l’armée française, entre l’Arc de Napoléon<br />

et la Statue de Clemenceau! <strong>La</strong> cochère du Paradis lui serait Grande<br />

ouverte ...»<br />

Le face-à-main était resté sur la chaise. Lui seul aurait su juger, en<br />

dévisageant, approchant sa chaise de la balustrade. Elle, acceptait cette<br />

promiscuité beuglante, talons et bouclettes, et l’azur-azur ... Quel triste<br />

monde ! « Comment ne pas être en deuil ? » semblait dire le tailleur de<br />

deuil. Nous autres, qui ne plions pas, si nous honorons les morts plus que<br />

les vivants (les morts à la guerre, s’entend !) c’est que les vivants ne sont<br />

pas grand chose, c’est qu’ils ne sont pas morts à la guerre ...! Le<br />

face-à-main reprit, braqué sur le défilé des troupes : « Mais ils mourront<br />

!»<br />

Aux chasseurs alpins, elle se leva de sa chaise, sans élan, comme<br />

elle eût fait à la sonnette de l’Élévation. Elle avait sans doute sa dévotion<br />

aux Chasseurs, comme Arthur à Notre-Dame de la Salette. Veuve d’un<br />

commandant de Chasseurs ? Ou des fils ou des frères, de l’un des trente<br />

bataillons alpins, tués à Fléray ou à Guise ? Rien ne bougeait sur le masque.<br />

Ni sourire ni grimace. <strong>La</strong> balafre de travers n’était qu’une balafre.<br />

Elle se rassit aux képis blancs des Légionnaires. Immobile sur sa<br />

chaise, l’oeil vide sous une paupière de commandement, elle transformait<br />

le balcon en tribune. Les excuses sucrées du placeur signifiaient peut-être<br />

qu’elle aurait eu sa place à la tribune, entre un bonbon d’Afrique et une<br />

robe d’Annam, si elle n’avait préféré l’incognito. On aurait pu croire

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