La Folie - MML Savin
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300 La Folie un sourire entre le voyou et l’ange, il est aviateur ... Ah ! quel aviateur ! Figurez-vous la Petite Soeur Thérèse qui serait un aviateur ... Tout juste Camille, le frère de Serge, brun comme Serge, un accroche coeur où il prend les coeurs, un air de n’y pas toucher. J’espère bien qu’il y touche ! Il est de revue pour le quatorze. C’est Camille qui passe. Je le sens qui passe sur moi, le beau Camille ! Quand elle consentit à relever la tête, elle secoua ses oreilles à la façon d’Irma la chienne et s’écria : « Ce n’était que la première des Musiques, celle qui précédait les enfants de troupe et les moniteurs d’Antibes. Des moutards et des pantalons blancs ... Et le Défilé ? Ils sont bien gentils ; on dirait une fête de gymnastique ... Je veux voir l’armée. Pourquoi pas les Enfants de Marie ?» Un peu déçue, elle vérifia ses bouclettes. - Et ceux-là, qui font les Polichinelles ? C’est pas l’armée ! - L’École Polytechnique, fit Jacques. - C’est ce que je disais ... Des Polichinelles. Des Enfants de Marie, si vous préférez. Les écoliers à leurs écoles ! Je veux l’armée !... Elle ne broncha pas aux Saint-Cyriens (encore des écoliers) - Puisque les soldats ne défilent pas, je m’assieds, dit-elle. Quand ce sera l’armée, vous me préviendrez ... Drôle de quatorze juillet ! Pourquoi qu’on nous les cache, nos petits soldats ? À peine un regard aux gardes du Roi d’Angleterre. - De beaux hommes pourtant, Madame Arthur. Venez voir. Plumets bleus, panaches verts. On croirait des soldats mécaniques. Ce sont les jouets du Roi. - Qu’il s’amuse avec, si cela lui chante ! Je ne suis pas royaliste ... La garde du roi, le roi, c’est pour Serge ; ce n’est pas pour moi ... À Corbigny, il n’y a pas de royaliste... Elle boudait, vissée à la chaise, frappant l’un contre l’autre ses talons. Après le défilé des gardes, un court répit, entre deux musiques : - C’est tout ? Mon pauvre M’sieur Jacques ! Ça ne valait pas de vous ruiner pour deux chaises et de vous faire repérer par la police ! Alors, on ne verra pas l’armée française ? Il suffisait peut-être de prononcer à haute voix ces mots magique : l’armée française ! À ces mots de la Langouste, une musique éclata, qui n’était pas une musique comme les autres, qui avait du cuivre, qui avait des cors et des trompettes, de la cadence et du pas, qui n’était pas des fifres d’Angleterre, ni une fanfare de gymnastique de boy-scouts, mais une musique franchement militaire, dont aussitôt on se fredonnait l’air, les paroles inséparables de l’air, Sambre-et-Meuse, Alsace-et-Lorraine, Sidi-Brahim et le soleil de l’Algérie. Ils étaient à l’Étoile, là-haut, ils commençaient à descendre l’avenue du triomphe, mais on ne pouvait se trom-
Pour la Patrie ! 301 per à la musique. C’était l’armée, la seule, les soldats de l’armée française. La foule, tout au long de l’avenue, hurle. Cela prenait comme un feu, n’importe où ; une jeune fille, un monsieur à binocle, une vieille dame, des gens qui n’élevaient jamais la voix ; l’un agitait son chapeau, l’autre en perdait son binocle ; ils criaient n’importe quoi : « Vive l’armée » ou « Vive la France » ou simplement « Les voilà ! Les voilà !» Ce n’était pas de l’ovation administrative, par petits paquets, tous les cinquante ou cent mètres, comme au passage du Président. Et le feu qui prenait ainsi ne se communiquait pas aussitôt. Au contraire. Autour de la vieille dame ou du binocle il y avait d’abord un cercle de stupéfaction et de pudeur, comme si l’enthousiaste n’avait été qu’un délirant ; si bien que la jeune fille rougissait et se taisait et que le monsieur frottait son binocle et le rajustait, la vieille dame toute frileuse et serrant son pliant sous le bras. Mais le cercle prenait feu à son tour, flambait de clameurs, allumait d’autres cercles à distance. Cela s’éteignait et se rallumait. Il y avait des zones de calme et de silence ; des prudents qui ménageaient et réservaient leurs voix, en attendant les fusiliers-marins ou les chasseurs. Cuivre de France reconnu, Madame Arthur, repoussant sa chaise, les mains soudées à la balustrade, incendiée d’un coup, de fond en comble, comme un entrepôt de bois. Le défilé aurait défilé trois jours, trois jours elle aurait lancé vers le ciel de la gloire, du cri, son amour de la France, des milliards d’étincelles, une vocifération gratuite à rendre jaloux un dictateur, le jet d’un énorme incendie qui renaissait et s’entretenait de lui-même. Quand elle s’éraillait et crachait en son mouchoir, elle pleurait, redoutant d’avoir brisé sa gorge à cet effort de son patriotisme. Mais, à chaque fois, comme par grâce, elle retrouvait l’ampleur intacte de sa voix et l’usage de son délire. Elle qui énumérait et distinguait si bien, avant la revue, qui n’aurait pas confondu des Sénégalais et des Malgaches, la Légion et les tirailleurs d’Afrique, elle se jetait toute à tous, à se jeter parfois corps et âme, par-dessus la balustrade, si Jacques ne l’avait retenue Et comment distinguer ? Fantassins ou marins, artilleurs ou légionnaires, ils étaient tous l’armée française. - L’armée de l’air, Madame Arthur ! Ceux qui arrivent, que voilà, qui ne marchent pas très bien au pas, avec leurs petits mousquetons dont ils ne savent pas quoi faire ... vous qui avez de bons yeux, peut-être apercevez-vous Camille, Sainte Thérèse en aviateur ! Tous les aviateurs ne volent pas ... Camille ? Elle avait oublié ce nom. Elle n’avait plus de préférence. Elle s’arrêta de crier, un instant, pour dire: - Ce sont tous des hommes. Les noirs, les blancs, les moins blancs, ceux qui portent des culottes, qu’on leur voye le genou au ras de la culotte, ceux qui ont des bottes ou des pantalons, des képis, des bérets
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dame, des gens qui n’élevaient jamais la voix ; l’un agitait son chapeau,<br />
l’autre en perdait son binocle ; ils criaient n’importe quoi : « Vive<br />
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Cuivre de France reconnu, Madame Arthur, repoussant sa chaise,<br />
les mains soudées à la balustrade, incendiée d’un coup, de fond en comble,<br />
comme un entrepôt de bois. Le défilé aurait défilé trois jours, trois<br />
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France, des milliards d’étincelles, une vocifération gratuite à rendre jaloux<br />
un dictateur, le jet d’un énorme incendie qui renaissait et<br />
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elle pleurait, redoutant d’avoir brisé sa gorge à cet effort de son<br />
patriotisme. Mais, à chaque fois, comme par grâce, elle retrouvait<br />
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distinguait si bien, avant la revue, qui n’aurait pas confondu des Sénégalais<br />
et des Malgaches, la Légion et les tirailleurs d’Afrique, elle se jetait<br />
toute à tous, à se jeter parfois corps et âme, par-dessus la balustrade, si<br />
Jacques ne l’avait retenue Et comment distinguer ? Fantassins ou marins,<br />
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- L’armée de l’air, Madame Arthur ! Ceux qui arrivent, que<br />
voilà, qui ne marchent pas très bien au pas, avec leurs petits mousquetons<br />
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apercevez-vous Camille, Sainte Thérèse en aviateur ! Tous les aviateurs<br />
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Camille ? Elle avait oublié ce nom. Elle n’avait plus de préférence.<br />
Elle s’arrêta de crier, un instant, pour dire:<br />
- Ce sont tous des hommes. Les noirs, les blancs, les moins<br />
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la culotte, ceux qui ont des bottes ou des pantalons, des képis, des bérets