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La Folie - MML Savin

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30<br />

<strong>La</strong> <strong>Folie</strong><br />

vre, se dit l’initiative. Quand nous atteindrons le quai 16, guitare et moi,<br />

depuis longtemps le portrait sera sorti. Un but, un seul : le portrait, lui<br />

prendre sa valise, le saluer : Mademoiselle. C’est l’ordre du Colonel. De<br />

l’initiative, donc. » Et Nestor, plus souple encore que ses semelles, se<br />

glisse, se faufile, rend son ticket, s’établit en haut de l’escalier, le portrait<br />

devant ses yeux. Si le portrait passe, valise à la main, comment échapperait-il<br />

?<br />

Nestor dévisage. Que de visages ! À chaque fille, est-ce la fille ?<br />

Évidemment, le portrait, celui du quart de queue, n’est plus tout à fait<br />

celui qui porte la valise. De treize ou quatorze ans, qui est l’âge du portrait,<br />

à dix-sept, à dix-huit, il faut s’attendre à du changement. <strong>La</strong> guitare,<br />

aux doigts de Nestor : « Pas tellement !» Elle avait de l’expérience. Une<br />

guitare qui avait tant vu de filles, qu’elle avait troublées, persuadées, qui<br />

avaient dansé, qui avaient pleuré. Si la femme est une enfant toujours,<br />

son portrait le meilleur est son portrait d’enfant.<br />

Nestor, à sa rampe d’escalier, dévisage, aussi longtemps que cela<br />

dévale ; aux plus beaux airs de sa guitare, tous les regards aux siens, ne<br />

fût-ce qu’un instant. Il n’aurait pas pu se tromper au regard. Un regard<br />

vers tout, qui, sur le portrait, n’était encore un regard pour personne. Nestor<br />

donc, qui se démontait le cou, n’accordait l’agate de ses yeux qu’aux<br />

toutes jeunes demoiselles. Service commandé ! C’était un peu sa pente<br />

naturelle : au-dessus de vingt ans, Nestor était aveugle ; à partir de<br />

dix-huit, quelque myopie ; un regard de louve à dix-sept !<br />

<strong>La</strong> nappe diminuait. <strong>La</strong> foule n’était plus foule. On ne perdait plus<br />

de paquets ni d’enfants. On prenait le temps de s’embrasser. Il se fit des<br />

groupes qui s’attardaient. Un monsieur lisait un journal ; visiblement, il<br />

n’attendait personne. Les receveurs des portillons avaient de la conversation<br />

de l’un à l’autre portillon. De la porte du Maine, une voix montait<br />

qui criait : « Paris-Soir, l’Intran, le Temps deuxième. <strong>La</strong> réponse du Pape<br />

au discours de Mussolini ! Texte intégral du discours et de la réponse.<br />

L’Intran dernière !» Et, pour remplacer l’orage des pas, un peu de roulement<br />

de vrai tonnerre au-dessus du discours de Mussolini. Le monsieur<br />

ôta ses lunettes, plia son journal, s’en fut vers l’orage, comme s’il attendait<br />

l’appel du tonnerre. À sa rampe d’escalier, Nestor aurait été tout seul<br />

s’il n’avait pas eu sa guitare.<br />

Par scrupule de service, il demanda :<br />

- Il n’y a pas d’autre sortie ?<br />

Le Receveur :<br />

- Bien sûr qu’on peut sortir, si l’on veut, par l’ancienne<br />

gare. Faudrait le vouloir !..<br />

Une toute jeune fille, qui débarquait à Paris, qui ne connaissait pas<br />

le labyrinthe des passages entre deux gares, ni l’ancienne ni la nouvelle,

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