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La Folie - MML Savin

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L’Armée d’Afrique 3<br />

Au mot de république, il y eut un peu plus de fissure et de délabrement.<br />

Une pierre du perron céda.<br />

Nestor eut le mot, celui qui conjure. Il hurla :<br />

- À vos rangs, fixe !<br />

- Repos, je t’ai dit, Nestor. Repos.<br />

Nestor au repos, position réglementaire, un pied devant l’autre, les<br />

main au dos. Les lézardes n’osaient plus, ni les gouttières. Les petits vers<br />

du bois ne vrillaient plus le bois. <strong>La</strong> demeure légère, une <strong>Folie</strong>, comme on<br />

disait jadis, n’était plus <strong>Folie</strong>, d’amour ni de guerre. Elle obéissait : Elle<br />

se raidissait, pierre sur pierre. « C’est bon, dit le Colonel. Rompez ! »<br />

Nestor rompit, c’est-à-dire qu’il ne fit que deux pas, glissant le pas, s’en<br />

allant mais sans aller, le regard vague, le geste vain. Entre deux ordres,<br />

c’est ainsi qu’on est ; libre ; plus exactement disponible.<br />

Depuis vingt ans qu’il était l’ordonnance du Colonel, ce grand diable<br />

de Nestor, noir et bouclé comme un diable à visage d’ange, qui riait<br />

des pommettes et du nez même au plus grave de son grave, vibrait encore<br />

et tremblait comme au premier jour, quand la foudre de l’ordre le traversait<br />

de part en part. Il avait beau prévoir et deviner qu’il y avait de l’ordre<br />

dans l’air, toujours l’ordre éclatait à l’improviste, roulait, se répercutait,<br />

secouait Nestor de la cheville à la nuque.<br />

Il faut dire que le Colonel commandait comme au front des troupes,<br />

de sa plus belle voix de commandement.<br />

Ténor léger, quand il tenait sa partie, jadis, en des opérettes de salons<br />

; ce n’était alors que voix d’enjôleur, à chanter la sérénade, ou se<br />

mêlait un rien de frivole, sinon de libertin. Mais ce léger ténor mousquetaire,<br />

à moustaches blondes, faisait savoir tout à coup qu’il était redoutable,<br />

et partisan de l’offensive toujours, à la guerre comme à l’amour. <strong>La</strong><br />

voix montait, comme une fusée monte, et brisait là-haut, brisant l’air et<br />

les volontés. Elle exigeait, elle obtenait immédiatement une obéissance<br />

terrifiée, sans condition. De Saint-Cyr à la retraite, rien n’avait vieilli<br />

dans cette voix.<br />

Le Colonel avait aussi sa voix comme il faut l’avoir. Il la modulait<br />

alors ; il y inventait des tons un peu sourds, qui convenaient à son âge, a<br />

sa rosette d’officier de la Légion d’honneur. Il modulait pour la buraliste,<br />

pour les soeurs quêteuses, chaque fois qu’il rendait hommage. Mais encore,<br />

si l’une des soeurs était jeune et jolie, il lui revenait malgré lui du<br />

ténor, qui filait sa mélodie et festonnait parmi les basses. Le<br />

Saint-Cyrien, pas mort ! quelques rares amis, des plus intimes, savaient<br />

bien que la voix de mousquetaire était seulement sous surveillance.<br />

À force de prier (j’entends : les dames), et si la jeune fille d’accompagnement<br />

était très blonde, du suave et du bleu d’amour sous les yeux,<br />

un je ne sais quoi de gracile aux poignets, à la taille, un cou d’enfant, une

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