25.06.2013 Views

La Folie - MML Savin

La Folie - MML Savin

La Folie - MML Savin

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

298<br />

<strong>La</strong> <strong>Folie</strong><br />

les journalistes ! Et même, avant les salamalecs, le Président ira présenter<br />

ses condoléances au Poilu Inconnu, ce qui prouve qu’il a du coeur, pour<br />

un Président.<br />

Au premier coup de canon, Elle lâcha la balustrade, oscilla sur ses<br />

talons et saisit Jacques de ses deux pattes, en hurlant :<br />

- On va tous mourir, M’sieur Jacques ! Cette fois, c’est<br />

eux ! Ce sont les B...! Oh ! pardon ...<br />

- Du calme, Madame Arthur. C’est pour la minute de silence.<br />

- J’avais oublié ça dans le programme fit-elle, brusquement<br />

intimidée par le silence.<br />

Elle revint à la balustrade, vaguement inquiète, regardant cette foule<br />

muette sur le trottoir de l’avenue, comme elle regardait sans regarder le<br />

cercueil au fond de la fosse, aux enterrements. Elle se raidit des talons<br />

aux bouclettes, et, cherchant le geste le mieux approprié, elle esquissa un<br />

signe de croix. Au coup de canon qui marquait la fin du silence :<br />

- Ouf ! Si leur minute avait duré encore une minute,<br />

j’éclatais. Le silence, moi ! J’étais chose, chose, à ne pas dire quoi ; ca me<br />

pinçait aux mollets, dans le gras. Ça me friselait dans les bouclettes.<br />

J’avais envie de rire et de pleurer. Un peu plus, je me roulais comme Irma,<br />

quand elle se gratte. C’est plus désobligeant que les chenilles du Colonel<br />

!.. Chenilles à part, dites-moi, M’sieur Jacques, à quoi ils pensent,<br />

les autres, pendant la minute de silence ?<br />

- À rien ! Il est même recommandé de ne rien penser, à ce<br />

moment-là.<br />

- Et le Président, qui présentait ses condoléances ?<br />

- Surtout le Président ! Il est comme la jument du maréchal<br />

: il a l’habitude. Il ne pense rien, ou bien il pense qu’il est Président.<br />

- Et vous, M’sieur Jacques ?<br />

- Je me disais qu’on avait eu tort d’enterrer un soldat sous<br />

l’Arc de Triomphe ! À la prochaine, il faudra en enterrer un autre. D’ici<br />

un siècle, cela fera tout un cimetière en plein Paris. C’est contraire à<br />

l’hygiène et au règlement. Si j’étais conseiller municipal, j’interdirais la<br />

guerre au nom de l’hygiène ... Moi, remarquez, je suis dans la marine. Je<br />

serai mangé par les crabes. C’est un tombeau comme les autres. Mais le<br />

Président ne pourra m’y présenter ses condoléances ... Tenez ! le voici,<br />

qui nous salue.<br />

Jacques désignait un crâne, et le dedans d’un chapeau au bout d’un<br />

bras. Tous les cinquante mètres, une sorte d’ovation administrative: «<br />

Vive le Président » ; l’accomplissement d’un devoir plus que la convic-

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!