La Folie - MML Savin
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28 La Folie Nestor était un familier de ces scènes de gare. Il aimait la gare. La Folie sur son promontoire vivait au bruit des trains jour et nuit. Nestor, à l’extrême du promontoire, passait des heures à regarder. C’était un spectacle comme la mer ou les nuages. Souvent il se payait un billet de quai, arrivée ou départ, heureux comme un noir de ce grouillement de foule, observant tout, les usagers et le personnel, les vendeurs d’eaux minérales ou de journaux ; il aidait quelquefois, cette dame encombrée de cartons et de marmots, ou le vieux monsieur distingué qui succombait au poids d’une valise. Pourboires échéant, qui le remboursaient ; il en restait pour les cigarettes de goût anglais, son élégance. Le Colonel avait déjeuné, à midi de l’Observatoire ; à midi trente se leva, serviette pliée (en bonnet d’évêque), puis au salon jusqu’à trois heures, café turc et les gazettes, la France Militaire d’abord, de la date à la signature du gérant ; ensuite, pour la délectation et la fantaisie, ces messieurs de 1’Action Française. Nestor, tenue de campagne, eut beau tourner autour du Colonel, sans prétextes, ce qui valait tout un discours, point de réponse du Colonel, sérieux à Maurras, souriant à Daudet ; la chronique des théâtres, son régal, lui qui n’allait jamais au théâtre (Peuh !), mais cette chronique à coups de bâton, qui refusait tout, les tragédiens, les comédiens, auteurs acteurs pêle-mêle, à la matraque. « Du bon travail, jugeait le Colonel ; comme si l’on pouvait avoir du talent en République !» À 15 h. 32 de l’Observatoire, il se gratta la gorge du fond de la gorge, ce qui disait clairement : « Je vais au Cercle.» Nestor n’obtint pas davantage. De vrai, le Colonel avait été loquace ce matin entre glaïeuls et portrait. Jamais il n’en avait autant dit à Nestor. L’obéissance n’exclut pas l’initiative, si l’on entend bien la Doctrine. À Nestor, l’initiative, puisqu’il était aussi l’obéissance. Nestor, semelles souples, à foulées de campagne, sur ce long trottoir d’un seul tenant, de la rue du Château à la gare du Maine. La préparation avant l’action ; louable initiative. La gare du Maine, qui est une porte et un escalier, n’avait point changé depuis la veille : une porte, un escalier. Au panneau des arrivées, Nestor vérifia : Trains en provenance. 18 h. 27. Provenance : Nantes. Pas de retard prévu. (Ne pas être en retard se dit Nestor). À la suite : 18 h. 28. Provenance : Quimper. 18 h. 29. Provenance : Nogent-le-Rotrou. 18 h. 30. Provenance : Granville. Nestor en rajusta sa cravate verte. Il était nécessaire de redoubler d’initiative. Il regagna La Folie, au pas de promenade, en croquant des cacahuètes. À La Folie, l’oeil à sa montre (une plaquée or, qu’il avait achetée à Oran, sur le port). Une heure à l’avance, ticket de quai (le Colonel rembourserait), Nestor arpentait les quais l’un après l’autre, préparation d’action ; le train
La liaison 29 333, en provenance de Nantes, toujours pas de retard ; le numéro du quai n’était pas encore affiché. Là-bas, au bout du quai, il y avait la mer, Océan ou Manche, du sable, des bateaux. Une brise légère chantait qu’elle venait de la mer. Allait-on vers Quimper, en suivant le quai, ou vers Granville, ou vers les pommiers de Nogent ? Les provenances font un mélange d’horizons, de villes, de pays. L’esprit s’envole, tournoie, retombe, comme les oiseaux des mers, mais il n’a pas la vue assez perçante pour apercevoir la mer, les pommiers les trains. Il plane ; il s’enivre de nostalgie. Ainsi Nestor, qui s’enivrait de la brise, du vide des quais, du lointain multiple des lointains. Que la guitare aurait bien dit cela, qu’on ne pourrait autrement dire, et que ce n’est pas la même fièvre d’attendre vraiment quelqu’un ou de faire semblant d’attendre. Guitare ? Nestor se frappa le front, se précipita à La Folie saisit sa guitare, revint au pas demi pressé, car sa montre indiquait qu’il avait encore vingt minutes avant le train. Nestor riait de contentement. Bravo, Nestor ! L’initiative, la voilà. Il brandirait la guitare. Il pincerait la guitare. Il y aurait dix et trente messieurs à agiter un mouchoir ou un chapeau, mais le seul Nestor aurait sa guitare. Train 333, quai 19. Le ciel, au bout de ce quai-là s’était creusé jusqu’à Nantes. Nestor, au quai 19, et sa guitare. De la foule déjà, sur les quais, partout, en haut de l’escalier, à la porte, avenue du Maine. Foule pour foule, cela promet ! À voix de porte-voix : « Le train 212, en provenance de Granville entre en gare au quai 18. Allô ! Allô ! Attention ! Le train 620, en provenance de Quimper, au quai 21. Allô ! Allô ! Le train 130, en provenance de Nogent-le-Rotrou, au quai 20.» « Et le quai l9, alors ? » se demanda la guitare. Du 20, du 18, du 21, des voyageurs sur des voyageurs, de la bousculade, de l’embrassade ; le terre-plein, en avant des quais. On croirait la place du marché un jour de marché, à Nogent ou à Mortagne. « Allô ! Allô ! » reprend la voix. « Attention ! Rectification ! Le train 333, en provenance de Nantes, entre en gare à la voie 16. Je répète .. Rectification ..» Tous ceux qui attendaient à 19, en hâte ; ceux qui ont mal entendu (quoi ? quai 13 ?), heurtés, charriés ; et les petits trains de wagonnets, qui font demi-tour tous à la fois, et veulent passer, passeront, vous écraseront plutôt. C’est une débandade, des appels, des cris. « Rectification, quai 16 ..» Facile à dire dans un porte-voix ! Déjà, du quai 16, un fleuve voyageur se déverse, que l’épaisseur et la montée des eaux, au terre-plein, ralentit, épaissit, détourne. Nestor, guitare sous le bras, examine et décide. L’obéissance se dirait : quai 16. Mais l’initiative tempère l’obéissance et l’accomplit. « Fausse manoeu-
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Guitare ? Nestor se frappa le front, se précipita à <strong>La</strong> <strong>Folie</strong> saisit sa<br />
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! Le train 333, en provenance de Nantes, entre en gare à la voie<br />
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ceux qui ont mal entendu (quoi ? quai 13 ?), heurtés, charriés ; et les petits<br />
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Déjà, du quai 16, un fleuve voyageur se déverse, que l’épaisseur et<br />
la montée des eaux, au terre-plein, ralentit, épaissit, détourne. Nestor,<br />
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Mais l’initiative tempère l’obéissance et l’accomplit. « Fausse manoeu-