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La Folie - MML Savin

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<strong>La</strong> <strong>Folie</strong><br />

que Poliche était à l’aise (comme on dit à Sillé), mais c’était tout, tandis<br />

que les huit soeurs, qui connaissaient l’étendue de la fortune, avaient, en<br />

y songeant, la fièvre testamentaire. Les soeurs mariées revendiquaient au<br />

nom de la progéniture, les vieilles filles plaidaient la cause de leur célibat,<br />

la religieuse celle de son ordre. Cela promettait des brouilles et des<br />

querelles. Chacune estimant qu’elle aurait pu prétendre au titre de légataire<br />

universelle ; l’union des huit se faisait contre Jacques. Monsieur<br />

Lerrand ni pour ni contre, toujours à ses Pères de l’Église et à ses clients,<br />

mais cédant à ses filles quand elles l’assourdissaient de leurs discours : «<br />

Tu as toujours été du parti de Jacques. Quand il a été chassé de son collège,<br />

à dix-sept ans, il méritait la maison de correction. Pourquoi les Jésuites<br />

l’ont-ils chassé ? S’il avait seulement sauté le mur, ils ne l’auraient<br />

pas chassé ...»<br />

Monsieur Lerrand qui se reprochait parfois d’avoir trop accordé<br />

aux Jésuites, battait en retraite derrière les dossiers. En présence de leur<br />

mère, les filles se taisaient. Elles disaient « Ton fils », en parlant de Jacques,<br />

et de quel air !<br />

Le même air, malgré du miel et des simagrées, et toutes sortes de<br />

protestations de tendresse, quand elles rencontraient leur oncle Jacques à<br />

Sillé. À peine le dos tourné : « Sa fortune ! Sait-on comment il l’a gagnée<br />

? Des plantations de café ! C’est lui qui le dit. On dit aussi qu’il vit avec<br />

des négresses, à <strong>La</strong> Châtelière. Une jolie compagnie pour un petit garçon,<br />

du temps où il était entiché de son filleul ! Il devait y avoir de la négresse<br />

dans l’affaire du renvoi.» Quand l’une ou l’autre des huit, afin<br />

d’augmenter ses chances poussait jusqu’à <strong>La</strong> Châtelière, le jardinier (un<br />

faux bonhomme !) répondait que Monsieur chassait, ou pêchait, qu’il serait<br />

au regret d’apprendre... et se hâtait de refermer la grille. « Qu’il les<br />

garde, ses négresses !» s’écriait au retour la visiteuse.<br />

Les consignes touchant la veillée et le cortège (« Vous pouvez<br />

lire..» avait dit Madame Lerrand, mais seul Monsieur Lerrand avait lu, et<br />

très ému de lire) avaient hérissé la gerbe. Sans la religieuse, qui prêcha<br />

l’oubli des injures, un conseil de gerbe faillit décréter l’absence aux funérailles,<br />

en guise de protestation. Pourquoi Jacques en tête, le dernier par<br />

l’âge, dernier des derniers par les négresses ? « Les premiers seront les<br />

derniers, dit opportunément l’aînée religieuse. Que ce soit par respect<br />

pour notre père !» <strong>La</strong> parole évangélique s’appliquait aussi à l’ordre des<br />

héritages, qui pouvait n’être point celui du cortège. On se félicita d’avoir<br />

écouté la religieuse quand on remarqua, du château à l’église, de l’église<br />

au cimetière, que Me Mossant suivait de bout en bout, lui qui s’excusait<br />

sur ses fonctions de notaire pour ne jamais être d’aucun cortège. Suivait-il<br />

en ami ou en notaire ? Le testament stipulait, peut-être, parmi les clauses :

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