25.06.2013 Views

La Folie - MML Savin

La Folie - MML Savin

La Folie - MML Savin

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

Le bon parti 267<br />

derrière les vitres, comme il y avait une ombre nue derrière un garçon<br />

bleu, dans le bleu d’une matinée. <strong>La</strong> lumière se rallumait, s’éteignait,<br />

l’ombre d’un pas dans la cour, au-delà des tilleuls, puis une lumière à<br />

cette fenêtre du premier sur la cour, la même ombre de fillette, comme si<br />

la fillette avait descendu la lampe allumée du quatrième. Le visage collé<br />

aux vitres avait deux tresses blondes, un rien de nez, des joues d’enfant.<br />

Troubler cette enfant, la désespérer, ce n’est qu’un jeu, quand on est fille<br />

des lys. Il suffit de regarder du côté de la fenêtre, de cet air un peu Colonel,<br />

sourcils froncés.<br />

Ce n’est pas d’aujourd’hui que Liliane connaît l’art de faire baisser<br />

les yeux, trembler les lèvres. À dix ans, elle s’essayait sur les petites camarades<br />

ou sur la Soeur du parloir. Elle partage le monde en deux, ceux<br />

qui baissent et tremblent, qui sont nés esclaves et troupiers, la plupart des<br />

hommes et des femmes ; les autres, hors de troupe, du sous-lieutenant au<br />

roi de France, de l’ange à Dieu, du plus ou moins d’étoiles ou de lys. Arthur<br />

ou la petite au rien de nez, <strong>La</strong>ngouste ou Nestor : la piétaille. On ferait<br />

trembler Demazure, s’il avait moins de nez. Une Parisienne de Longchamp<br />

ou de la Coupole, cela résiste mieux qu’un contrôleur d’autobus<br />

ou de métro qui remercie en baissant les yeux. « Le partage, pense Liliane,<br />

doit être conforme à la politique du Colonel. Ceux qui ont l’art de<br />

faire baisser sont du bon parti. Mais les autres, s’ils obéissent comme<br />

obéit Nestor, sont aussi du bon ! Et que dire de ceux, sans étoiles ni lys,<br />

qui ne tremblent pas, qui ne baissent pas les yeux, qui se moquent de l’art<br />

aussi bien pour l’exercer que pour le subir ?»<br />

De cette catégorie, le grand monsieur que Liliane a croisé sous la<br />

cochère, en revenant de la messe avec le Colonel. D’une majesté naturelle,<br />

le visage tranquille d’un jardinier, de fortes mains mais soignées (et<br />

la rosette de commandeur, s’il vous plaît !), la courtoisie la plus simple à<br />

retenir la porte d’une main, à saluer de l’autre, un sourire qui n’avait que<br />

de la bienveillance, une sorte de roi qui n’aurait régné que sur des roses.<br />

Le beau sourire était une sorte de compliment, mais d’un autre style que<br />

les compliments à la Demazure. Le complet vert tendre, et même le bleu<br />

de la salopette, avaient quelque chose de cette catégorie-là.<br />

Jacques en bleu, quand il dessinait ses croquis ou quand il ouvrait<br />

le secrétaire, n’avait pas moins d’aisance que le complet vert se présentant<br />

au Colonel. Le duc de ou les petits amours l’auraient reconnu aussitôt,<br />

de bonne grâce, comme Liliane enfin le reconnaissait. Ce n’était que<br />

le mélange, salopette bleue et bleu de France, qui avait irrité Liliane ; une<br />

salopette qui ne tremble pas, qui ne baisse pas les yeux, et tout l’ordre est

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!