La Folie - MML Savin

Chapitre XXX
Le bon parti
« Ce qu’il est facile d’être parisienne » pensait Liliane, assise au
petit salon, sa bergère face à la bergère de son grand-père, le dernier numéro
de l’Illustration sur ses genoux. « C’est une affaire de robes, et ne
s’étonner de rien. Avoir assez de robes pour avoir toujours celle qui
convient.»
Le Colonel s’entendait aux robes et aux chapeaux, à croire qu’il ne
fréquentait que des couturières et des modistes. Quand Liliane avait vu
cet amoncellement de cartons, qui l’attendaient avenue Mozart, elle
n’avait songé qu’à la générosité de son grand-père ; elle ne songeait pas
qu’il fallait tant de robes, tant de chapeaux, qu’elle en aurait assez sans
en avoir trop. En quinze jours, elle avait eu des occasions pour tout. Robes
courtes ou robes longues ; pour l’après-midi, pour la promenade ou
pour le thé, pour le soir ou pour la nuit ; d’autres chapeaux, d’autres
gants. Être toujours différente et la même toujours : c’était le grand secret.
En dehors des robes et des chapeaux, une jeune demoiselle éduquée
à L’Espérance savait tout ce qu’il faut savoir. Il faut si peu savoir ! Savoir
sourire, savoir se taire. Oublier surtout que l’on ne fait que sortir de
L’Espérance! Tout est simple si l’on a le chapeau, la robe et le
grand-père. Il n’est pas interdit de varier le sourire ou la façon de se taire.