La Folie - MML Savin

Roi, Dame, Valet 259
serait Hécube aux cinquante enfants. Tour d’ivoire, étoile du matin. C’est
la pureté du pur, l’intransigeance, le respect du serment. Aucune défaite
ne les instruit. Rien ne les altère. Leur cause est au-dessus d’eux. Ils sont
les assassins parfaits, les héros parfaits. Ils font les ultra en tous les partis.
Si le Roi les déçoit, ou la Terreur, c’est qu’il manquait du Roi au Roi, de
la Terreur à la Terreur. Par métier, je fusille souvent des vierges, mais je
les respecte.
- Respectez-vous les poissons ?
- Les poissons sont de bons compagnons. Ce n’est pas le
respect qu’ils cherchent, mais la liberté.
XXX se leva de son fauteuil :
- Allons consulter les astres, dit-il. La nuit doit avoir toutes
ses étoiles. Du balcon, au-delà de Chelles et de Saint-Maur, vous verrez
Paris. Une voie lactée à millions d’étoiles au dessous de la Voie Lactée !
Ce n’est que Paris. Cette autre Voie Lactée parle moins clairement que
les étoiles.
Sur le divan de Sardanapale, enfoncé parmi les fourrures, Jean-Luc
soupirait en dormant.
- Ne réveillons pas Jean-Luc, dit XXX. Il dort.
Deux ou trois heures plus tard, quand ils revinrent : « Jean-Luc !» À
force de crier « Jean-Luc », le secouer, le retourner, XXX réveilla
Jean-Luc, si l’on peut dire que s’étirer, se redresser, sourire, bailler, retomber
dans la fourrure, s’y blottir, soit se réveiller.
- Jean-Luc, va nous chercher de la bière.
En somnambule, Jean-Luc chercha et rapporta.
- Les royalistes ? Disait XXX, l’espèce se fait de plus en
plus rare. Ni Maurras ni Daudet ne sont des royalistes. Ce ne sont que des
publicistes d’opposition. Ils ont de la plume, un genre de talent. Ils font
crier par leurs partisans que ce talent est du génie ; mais ils n’ont que des
partisans. Ils n’ont point d’admirateurs ni de disciples. Dans ces écrits
d’un jour, qui n’auront qu’un jour, vous trouverez des flèches, flèches en
papier d’écoliers turbulents. Mais quelles pensées ? La fameuse Enquête
sur la Monarchie, de leur grand Maurras, aurait rendu fou de rage Henri
IV ou Frédéric II. Franchement, ce n’est rien ! Pourtant, le sujet en valait
la peine. Tout pouvoir est une monarchie. J’écrirais ce livre-là, si je savais
écrire. Un bon camarade à moi, embarqué dans leur galère, et qui
enseigne les rudiments à je ne sais qui de plus ou moins prétendant, me
disait l’autre soir : « Je n’arrive pas à lui faire comprendre qu’un roi n’est
pas un dictateur ...»
Jean-Luc débouchait les bouteilles et versait la bière, en baillant.