La Folie - MML Savin

Chapitre XXVIII
Heraclès de Suède
Boulevard Raspail, cet appartement tout en vitres au-dessus d’un
cinéma, où l’on vit dans une rébus de cinéma, dix pièces, une salle de
bains qui ressemble à une piscine, une autre de judo ; c’est l’appartement
d’Aristide Marka puisqu’il paraît que Monsieur Marka en est le locataire
ou le propriétaire. Ce pourrait être celui d’un Australien chasseur
d’éléphants, douze mois sur douze à la chasse, d’un Prince Henri ou Napoléon
bloqué par les glaces polaires. Monsieur Marka ne couche jamais
boulevard Raspail, se douche et nage à son club, y déjeune, y dîne, dort
quand il a le temps et couche un peu partout.
L’homme est d’un goût infaillible, jugeur redouté aux ventes et
vernissages : un mot de lui ( il a des mots qui sont terribles comme sa
jalousie), un sourire, un ricanement décident des enchères ; meubles, tableaux
anciens et modernes, il connaît tout ; sa présence pétrifie les experts
; son prix est le juste prix. Son garde-meubles doit être plus riche
que celui de l’État. Il possède d’admirables Goya, plusieurs Greco, deux
Velasquez. Mais l’aquarium de Raspail était garanti Lévithan, meublé en
un seul jour, la commande au téléphone ; des copies ou des reproductions
sur les murs, La cruche cassée, La source de Monsieur Ingres. Une sorte
de luxe anonyme pour y recevoir des ministres. D’aventure, il les recevrait.
Il se contentait, une ou deux fois par an, de recevoir des compagnons
de club ou de judo, offrant à ses invités, comme serait un sultan ou
un roi nègre, un choix de faciles demoiselles, blanches, jeunes ou noires ;
quelques danseurs de music-hall pour compléter les facilités. Repas, ar-