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La Folie - MML Savin

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<strong>La</strong> <strong>Folie</strong><br />

un discours. Ou même, ce n’était ni bonjour ni bonsoir, mais le doigt à la<br />

tempe, qui disait tout. C’était alors la couleur de la pivoine, jamais la<br />

même, qui était si parlante.<br />

Quatre au cinq ans à peu près que le Colonel, après un « Nestor !» à<br />

pleine voix, qui n’était pas une parole mais un ordre, s’était contenté de<br />

mener Nestor au platane de gauche devant la façade et lui remit un sac où<br />

il y avait des choses à planter. Nestor planta, devant les fenêtres de gauche,<br />

dans un peu de terre à planter. <strong>La</strong> chose, au printemps, poussa, fit de<br />

la feuille et de la tige de longs boutons serrés comme des coquillages,<br />

d’un vert à peine vert.<br />

<strong>La</strong> chose monta, monta, comme s’il était indigne d’elle de fleurir<br />

trop bas, fière, presque insolente, et ne s’encombrant pas d’un fatras de<br />

feuilles à n’en rien faire, soucieuse seulement de ces longs boutons de<br />

plus en plus longs et serrés qui, une nuit de la fin juin, tout d’un coup se<br />

desserrèrent : c’était des lys. Des glaïeuls un peu partout dans le jardin, à<br />

l’état sauvage. Du rose ou du rouge d’amour parmi des épées. C’était<br />

peut-être du glaïeul d’origine, que l’architecte avait choisi, quand il avait<br />

construit pour l’amour et pour la guerre. Mais point de lys, la fleur des<br />

rois et des reines, la gloire des écus et des cortèges, le blanc sans reproche,<br />

le drapeau du roi. L’architecte n’aurait pas osé. <strong>Folie</strong>, douce demeure,<br />

parmi les haies vives et les bosquets de la plaine, coquelicots et<br />

champs de blé, où délacer la cuirasse et poser le casque, et faire l’amour<br />

en oubliant la guerre.<br />

Nestor, qui avait autant d’observation que la <strong>La</strong>ngouste, et quelque<br />

chose davantage, qui procédait de l’ombre et du coeur, ne fut pas sans<br />

observer que le Colonel lui avait dit (si c’était dire) de planter les lys,<br />

juste après l’apparition, sur le quart de queue, d’un portrait ou d’un visage.<br />

Nestor, au juin qui suivit, caressait un lys au jardin, vite, allait au<br />

portrait, et caressait, revenait au lys. Quel visage de la fleur ! Car le lys<br />

avait un visage, une soie blanche, une sorte de regard, un parfum à s’en<br />

jeter par terre, pour adorer. Nestor indistinctement adorait la fleur et le<br />

visage du portrait. Le visage aurait eu le même parfum que la fleur, à rendre<br />

fou Nestor.<br />

Il reconnaissait ; il humait, à larges narines de chair, des souvenirs<br />

d’autres parfums, qui avaient gonflé son coeur de garçon noir, là-bas,<br />

quand il n’était qu’un garçon noir. Les filles, sur leur peau de soie,<br />

avaient de ces parfums qui rendent fous. Si bien qu’en écrasant les filles,<br />

on respirait, on adorait les fleurs. Comme on dévorait les filles, on aurait<br />

pu dévorer les fleurs. Mais un lys ? On se prosternerait pour adorer. Écraser,<br />

dévorer, on aurait eu peur. Nestor, entre lys et portrait, chantait, ou sa

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