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La Folie - MML Savin

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<strong>La</strong> <strong>Folie</strong><br />

sage ; la lueur ne s’effaçait pas de son regard. Mais qui remarquerait cette<br />

lueur plus qu’une autre, si tout est d’océan dans les yeux d’un mousse ?<br />

Quand il revint du carré vers le Colonel, le mousse faillit ne pas annoncer<br />

comme sa coutume était de faire : « Monsieur le Maréchal est invité<br />

à se rendre au carré des officiers !» Le maréchal ne le regardant pas,<br />

le mousse eut le temps de se reprendre avant d’annoncer. En dépit de<br />

l’orange et des violettes, pouvait-il imaginer pareille détresse aux traits<br />

de son maréchal ? Monsieur le Maréchal, un pyjama sur la manche, regardait<br />

fixement le pyjama, un pyjama très ordinaire qui ne méritait pas<br />

cette fixité prolongée du regard. Le mousse, au garde-à-vous, indifférent<br />

comme s’il annonçait : « C’est des pyjamas que je m’amuse à couper, le<br />

dimanche, pour les pauvres de Saint Vincent de Paul.» L’initiative était<br />

heureuse en ce qui concernait le pluriel de ces pyjamas, car il devait y en<br />

avoir d’autres, moins heureuse à l’invention de Saint Vincent de Paul ; ce<br />

que sentit le mousse, qui ajouta, imperturbable : « elles sont à la page, les<br />

Soeurs !»<br />

Bien qu’il y eût un risque de tragique en ce pyjama, le mousse eut<br />

de la peine à se retenir de rire. « Stupide Aristide ! pensait le mousse.<br />

Quand il arrive il tire un pyjama de sa serviette, reprend la serviette sans<br />

le pyjama, et toujours un pyjama de sa serviette ! Combien doit-il avoir<br />

de pyjamas ?» Par chance, il ne mettait jamais de pyjama, tant il était glorieux<br />

de sa fourrure. Ils s’empilaient dans un placard, non dépliés. Une<br />

pile de pyjamas soigneusement pliée a moins de tragique qu’un pyjama<br />

déplié. « Je sais, je sais » fit le Colonel le regard fixe. Comment savait-il<br />

? Catherine n’avait jamais soufflé mot des pyjamas ni des Soeurs de Saint<br />

Vincent de Paul. - Excuse-moi d’avoir ouvert le placard. Je cherche<br />

quelque chose que j’ai laissé quelque part.<br />

Un tacticien qui se piquait de minutie dans l’exactitude ne pouvait<br />

s’exprimer de façon plus vague. « Où l’ai-je laissée ?» s’interrogeait le<br />

Colonel, comme s’il interrogeait le pyjama. Il eût été injurieux que le<br />

mousse demandât si ce que le Colonel avait laissé quelque part était aussi<br />

un pyjama.<br />

Pendant tout le temps que Catherine avait passé aux olives ou à la<br />

niçoise, le Colonel avait cherché. Il avait tiré des tiroirs, ouvert des placards,<br />

remué des chaises, la même chaise, le même tiroir dix et vingt fois.<br />

« Oui ou non ? Sais-je inspecter, se disait-il, ou ne le sais-je ? Suis-je Colonel<br />

?» D’autant plus offusqué de ne pas trouver, en inspectant, cette<br />

chose-là qu’il cherchait, qu’il avait sa théorie sur la tactique de<br />

l’inspection. « Quand on inspecte, professait-il, il ne faut pas s’attacher à<br />

ceci puis à cela. Cela rétrécit le champ de la vision. Inspecter tout, afin de

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