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La Folie - MML Savin

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<strong>La</strong> <strong>Folie</strong><br />

naire. Mais un Colonel ne perd pas contenance au feu, même sans liaison<br />

et sans initiative. À ce cantique du désir, à cette ardeur de la Sulamite, le<br />

veston avait pris feu, une poitrine de sous-lieutenant sous le veston. Le<br />

complet gris se dressait, faisait des pointes, aurait sauté à la corde, la Sulamite<br />

sur les manches. En deux pas, il était à l’échelle. Tangage et roulis.<br />

Flottez, pavillon ! Un instant déconcerté, le Colonel reprit aussitôt<br />

l’initiative. Il y allait de l’honneur de l’armée d’Afrique!<br />

Un Colonel à l’assaut d’un mousse, la partie n’est pas égale. Le devoir<br />

du mousse est de tolérer les caresses d’un Colonel, surtout si le Colonel<br />

a vendu des terrains en Sologne. Pontaincourt n’était plus du tout<br />

surpris, comme il l’avait été dans les débuts, de caresser un mousse,<br />

d’embrasser amoureusement un cou de gamin entre un béret à pompon et<br />

un col réglementaire. Depuis dix ans qu’ils naviguaient de compagnie !<br />

Mais la rusée Catherine, qui connaissait son Colonel, au lieu de la soie<br />

blanche, plus gamine que gamin, avait enfilé marinière et pantalon du<br />

drap le plus réglementaire et même le maillot bleu et blanc sous la marinière<br />

; cela ralentissait toujours l’initiative. <strong>La</strong> pipe aussi, une moue des<br />

lèvres à la pipe, qui n’étaient plus des lèvres pour le baiser. Au Colonel,<br />

qui se vengeait de la soie et des lèvres, en embrassant la soie du cou : «<br />

Monsieur le Maréchal, je vous en prie » dirent les lèvres de pipe, comme<br />

elles auraient dit, avenue Mozart, si un maréchal était venu chez Mademoiselle<br />

Rubis, accompagnant en maréchal grand-père une jeune fille.<br />

Puis sur un autre ton, gamin plus que gamine : « Tout à l’heure, caporal.<br />

Pour le moment, je suis de service au carré des officiers.» Elle saisit le<br />

paquet pâtissier et s’en fut, gravement, vers la cuisine.<br />

Le Colonel n’oubliait jamais la tarte de <strong>La</strong>rivière, quelques fleurs à<br />

la ficelle du paquet, l’ananas, le kirsch ou le chocolat, parfois la tarte à<br />

l’orange. L’orange signifiait plus d’amour, un peu de tristesse dans<br />

l’amour, la tristesse qui n’est que tristesse ou celle qui vient de l’amour.<br />

Quelques minutes avant midi le Colonel croisait Nestor dans 1e couloir et<br />

disait : Ananas ! ou : Chocolat ! Ce matin : Orange ! en se tirant le doigt.<br />

Car c’était Nestor qui était chargé d’acheter la tarte chez <strong>La</strong>rivière. Les<br />

violettes de Parme ajoutaient de la tristesse à celle de l’orange. Catherine,<br />

en ouvrant le paquet : « i1 faut donc que je le console. De quoi faut-il<br />

que je le console ? » Même sans savoir de quoi, Catherine savait si bien<br />

le consoler qu’il partait toujours consolé.<br />

Les jours où elle attendait la visite du Colonel, elle rapportait<br />

d’Auteuil le nécessaire d’un petit souper, qui était une des joies du Colonel.<br />

Ils soupaient côte à côte, assis sur une étroite banquette ; la table lon-

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