La Folie - MML Savin

Chapitre IV
Ténor et guitare
Un Colonel ne réfléchit pas ; il agit. Ou du moins, s’il réfléchit ce
n’est que pour agir. Savoir pour savoir, dont se pâmait la Langouste, cette
vicieuse, « Peuh !» aurait dit le Colonel, qui se plaisait aux sentences les
plus courtes.
Il y avait encore plus court : on peut grogner sans même dire. Haut
ou bas, vers la tête ou vers l’estomac ; interrogatif, dubitatif, approbatif,
tolérant, amusé ou bougon, un peu rêveur, condescendant, toutes les
nuances d’un Colonel ; ou même dire sans grogner, et beaucoup dire. Par
exemple, si Nestor demandait : « Faut-il ou ne faut-il pas ou que
faut-il ?», ne pas regarder Nestor, le regarder, ne plus le regarder, un pas
vers Nestor, ou à droite, ou à gauche, ou demi-tour réglementaire, à la
militaire. Mille réponses, les unes claires, traditionnelles, les autres
d’improvisation, qui n’étaient pas toujours aussi claires. Certaines, toutes
personnelles, comme de se tirer l’index énergiquement, n’étaient pas tant
des réponses que l’ordre d’attendre ; et le Colonel aussi, se tirant l’index,
ce n’était pas tant qu’il réfléchissait (Peuh !) mais qu’il attendait sa réponse.
Nestor, lui, préférait le chant à la parole comme on parle, et le
chant de la guitare au chant.
La Folie, qui avait dû entendre tant de bavards et de bavardes (Ô
mes charmantes !) n’était pas le temple du bavardage. On aurait beaucoup
surpris Madame Langouste si on lui avait soutenu que son Colonel Pivoine
ne disait jamais que Bonjour ou Bonsoir. Et souvent le ton suffisait
au mirage. On croyait entendre, selon le ton, au moins une phrase, et tout