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La Folie - MML Savin

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En bateau 229<br />

Catherine avait son culte pour Pontaincourt, de la tendresse qui<br />

était de la vraie tendresse, où la reconnaissance avait sa part. Le calcul ne<br />

diminuait rien à sa tendresse : elle calculait tout ce qu’elle devait au Colonel.<br />

Elle se fiait à ses conseils. Elle jurait de sa fidélité. En voyage,<br />

quand elle voyageait avec Pontaincourt, il ne lui tardait pas de revenir à<br />

Paris et d’y retrouver quelque dompteur. Elle savait que le Colonel Saurin<br />

était Vidame, très honorée que, dans les hôtels, on la prit si facilement<br />

pour la femme et non pour la maîtresse. Il fallait une occasion comme ce<br />

brouillamini d’heure et de porte pour jouer la comédie au Colonel comme<br />

elle était contrainte de la jouer. Les bras au cou, enfant câline qui se réfugie,<br />

elle mentait sans mentir ; il était vrai qu’elle était l’enfant du Colonel<br />

autant que la maîtresse, et encore c’était l’enfant qu’il aimait dans la maîtresse<br />

: si on l’avait privé de sa maîtresse, il aurait souffert d’abord qu’on<br />

lui arrachât son enfant.<br />

Pour compléter l’enfant, il fallait un peu de la maîtresse. Elle quitta<br />

1e cou et se renversa sur les genoux du Colonel, les boucles d’un côté, le<br />

pantalon de mousse glissant de l’autre côté, toutes les grâces de fausse<br />

adolescente tendues et courbées comme un arc de l’amour.<br />

- Tout le jour, disait-elle, je n’ai pensé qu’à ce moment. Je<br />

languissais, j’avais du feu qui me brûlait, en y pensant. N’ai-je pas le<br />

droit de n’être qu’une petite-fille amoureuse, de temps en temps ? De désirer<br />

qu’on me désire, que l’on m’étouffe sous les caresses ? J’étais folle<br />

tout à l’heure, à force de désirer qu’on me caresse. Je me disais : Viendra-t-il<br />

? <strong>La</strong>issera-t-il passer l’heure ?<br />

Elle ne mentait pas. Elle ne pouvait pas dire au Colonel qu’elle attendait<br />

un dompteur plutôt qu’un Colonel, et puisqu’elle était cet arc sur<br />

les genoux du Colonel, peut-être ne songeait-elle plus au dompteur.<br />

Elle se sentit soulevée par le veston gris, toute nue sur les manches<br />

grises.<br />

Soudain, elle s’échappa de tout ce gris de Colonel. Le temps de<br />

deux pirouettes, elle était un mousse qui saluait à quelques pas, d’un<br />

large salut : - Monsieur le Maréchal ! J’ai l’honneur de vous avertir<br />

qu’un mousse de l’équipage est devenu fou. On a été obligé de le jeter<br />

par-dessus bord.<br />

Au théâtre, il n’y a rien d’aussi plaisant que les pirouettes et les métamorphoses.<br />

On ne sait plus si l’on veille ou si l’on rêve : on s’en frotterait<br />

les yeux. Le Colonel pouvait aussi se frotter les yeux ; il avait de<br />

nouveau les mains libres. Il se contenta de dire, d’un ténor bourru : « Repos,<br />

les équipages !» Et se frotta les mains, par contenance. Le dompteur<br />

aurait rugi, aurait lancé du bar à roulettes, aurait brandi son fouet imagi-

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