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La Folie - MML Savin

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<strong>La</strong> <strong>Folie</strong><br />

Elle l’appela Colonel quand elle sut qu’il était Colonel. Elle apprit<br />

qu’il était veuf. Les amabilités de la caissière, le respect du patron, qui<br />

ôtait son bonnet blanc en parlant au Colonel, la respectabilité particulière<br />

des dames que le Colonel invitait à l’heure du thé, des exigences en matière<br />

de thé qui n’eussent pas été déplacées à la Cour d’Angleterre, tout<br />

recommandait le Colonel, qui, de son côté, s’informait habilement de Catherine.<br />

Il apprit qu’elle était orpheline : « Toute seule dans la vie depuis<br />

ses douze ans, confiait la caissière au Colonel. Même pas un frère ou un<br />

cousin. Un zèle ! Une conduite ! Une jeune fille de mérite, Colonel ! »<br />

C’était précisément de ce mérite que 1e Colonel était en quête.<br />

Il médita son plan, en fin manoeuvrier d’Etat-Major. Ce doctrinaire<br />

de la liaison, en concordance avec l’initiative, pouvait se féliciter justement<br />

de la tenue de cette liaison et du succès de ses initiatives. Le Colonel<br />

ne s’était pas trompé : Catherine Prades avait du goût partout. Elle se<br />

coupait elle-même ses robes, ses manteaux. Son élégance était à son<br />

image. Elle concevait un costume par l’ensemble, ce qui marquait le sens<br />

de la liaison ; elle ne copiait pas la mode, elle avait de l’initiative à<br />

l’intérieur de la mode.<br />

Grâce au Colonel, elle était entrée chez un couturier de haute couture<br />

et, depuis quatre ans, elle avait sa boutique à elle, son atelier, ses ouvrières,<br />

avenue Mozart. Elle s’était spécialisée dans la mode des jeunes<br />

filles, le quartier admirablement approprié à la clientèle. Mademoiselle<br />

Rubis (c’était son nom de mode) était en passe d’atteindre à une sorte de<br />

célébrité. Le Colonel avait vendu des terrains de chasse, qu’il avait en<br />

Sologne et ne se repentait point de les avoir vendus. Les qualités de Catherine<br />

faisaient merveille. Elles enrichissaient le Colonel. Il est vrai qu’il<br />

se serait ruiné en petits cadeaux.<br />

Les années aidant le Colonel s’était mis à aimer Catherine. Au début<br />

(Catherine avait alors vingt-deux ans), cette pupille, dont il improvisait<br />

de se faire le tuteur, c’était plutôt pour maintenir la liaison et ne pas<br />

perdre l’initiative. « <strong>La</strong> chasteté n’est pas virile, se disait Léonides-Achille.<br />

Un Pontaincourt ne doit pas vivre comme un moine, s’il<br />

n’est pas moine. Et d’autre part il a le coeur trop haut placé pour se ravaler<br />

aux gourgandines.» Mais Catherine était si menue, si jeunette, que le<br />

Colonel ne s’accoutumait pas à n’avoir pour maîtresse qu’une enfant.<br />

Sans doute eût-il désiré des charmes plus robustes. Le plaisir que prenait<br />

Catherine à se travestir le choquait un peu. Puis, sans se l’avouer (le miroir<br />

à trois faces répondant chaque matin « Parfait !» aux questions<br />

d’Achille), le Colonel avait vieilli et Catherine, toujours menue et jeunette,<br />

n’avait pas vieilli . Aux yeux du Colonel, elle était la même enfant.

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