La Folie - MML Savin

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25.06.2013 Views

226 La Folie dompteur dans sa cabine de bateau, comme Suzanne et la Comtesse dissimulent Chérubin derrière un fauteuil. Auprès de son fauve, l’odeur et le poitrail d’un fauve, un peu fauve elle-même, étouffée par lui, rossée par lui, lui roulant le bar aux bouteilles à travers les jambes, la pipe aux lèvres, une turbulence, une insolence de mousse, gamin ou gamine, des pitreries et des inventions de gamin dans le jeu de l’amour, elle était heureuse, elle était comme folle de bonheur de le rendre fou, successivement de rage et de tendresse. À l’idée que le dompteur à fourrure allait remonter (il ne pouvait pas ne pas remonter !), elle se trémoussait. elle se caressait la taille, les seins sous la veste blanche ; elle se retira cette veste pour les caresser : des seins mauresques, comme le visage, qui avaient dix-huit ans si le visage en avait trente. Pieds nus et pantalons-blancs, une boucle sombre jusqu’au sein nu, le béret fièrement sur l’oreille, la pipe en coin, quel étrange mousse ! « Pourvu qu’il monte !» disait le mousse. Il ne restait qu’une petite heure d’escale avant la visite du tuteur. « Enfin !» cria le mousse, en se ruant à la porte. On venait enfin de frapper à la porte. La porte ouverte, le nez à peine levé, comme il suffisait de lever le nez pour offrir tout un visage, et tout le vert de l’océan au regard, au baiser du fauve amoureux, Mademoiselle Rubis se précipita, cria : « Enfin !..» et serra d’une étreinte folle un veston gris qui n’était pas celui du fauve, son visage et l’océan offerts en hommage à une pochette grise, d’un négligé savant, à une cravate grenadine en tricot de soie. Le veston n’avait qu’une main de libre, car il tenait de l’autre un paquet de pâtissier, un bouquet de violettes dans la ficelle du paquet. La voix qui partait au dessus de la cravate était certes une voix mâle, mais ténor ou ténor léger, et non point basse et profonde comme était celle du dompteur ; plus de commandement peut-être dans le ténor que dans la basse, où de la tendresse grondait, même quand elle grondait de colère. Une science du commandement ; l’autre n’avait que la fureur de commander. « Eh bien, eh bien !» disait la voix de ténor, tandis que la manche libre essayait une caresse. La voix avait aussi de la tendresse, plus tendre et moins embarrassée que la manche qui ne savait comment répondre à la folle étreinte des bras nus et des seins nus. Un tuteur ne s’attend pas à pareille étreinte, même si, Vidame et Colonel, il n’a point de fêlure à sa voix de ténor ; du casque et du carquois toujours, du jarret comme un sous-lieutenant, malgré les cheveux gris et la rosette. - Mon cher petit caporal dit le mousse, en entraînant le Colonel-Vidame à, l’intérieur du navire, et sans desserrer sa folle étreinte.

En bateau 227 - Eh bien ! Eh bien ! répétait le Colonel, plus libre dans ses caresses, quand il eut les deux mains libres. Un peu trop libre, en vérité, pour n’être qu’un tuteur, car il avait pris le mousse sur ses genoux et lui caressait les seins. C’était peut-être ainsi qu’en usaient les tuteurs, au temps des cuirasses et des carquois. Qu’est-ce qu’il y a ? demandait le tuteur. Tu m’attendais donc ? Je suis pourtant d’une heure en avance sur mon heure. - Je t’attends toujours dit Rubis, en nouant ses mains derrière le dos du Colonel. Une grande comédienne aurait admiré le mot, le geste, la façon de dire le mot. C’était un roucoulement de colombe. Une colombe palpitante ; la douceur, la fragilité, la chaleur d’une colombe. Cette douceur, celle chaleur pénétraient le Colonel. Une enfant, suspendue au cou comme une enfant ; elle cherchait un asile, elle ne bougeait plus de cet asile qu’elle avait trouvé. Elle tremblait et ne tremblait plus. De quoi tremblait-elle ? Quel péril la menaçait ? Quel élan vers lui ! De quelle fougue elle avait crié « Enfin !» Elle avait crié avant d’ouvrir. C’était donc qu’elle l’attendait. Mais pourquoi le désordre des boucles, l’étreinte qu’elle n’avait pas desserrée ? D’ordinaire, elle recevait le Colonel avec un cérémonial mi-rieur, mi- respectueux, qui flattait de toutes façons le Colonel ; les talons unis, au garde-à-vous, saluant d’un large salut, comme à la Marine : « Monsieur le Maréchal !» disait-elle, reculait de quelques pas, reprenait son garde-à-vous et disait : « Bonjour, Caporal de mon-coeur ! », puis tendait une moue de lèvres au baiser de son caporal. Le Colonel approuvait le cérémonial et cette réserve discrète quelle conservait toujours, même pendant l’amour. C’était cette allure de bonne compagnie qui l’avait séduit, à l’époque déjà lointaine où elle était chez Larivière, le pâtissier, place de Rennes, quelque temps après la mort de sa femme. Le Colonel n’aimait point celles qu’il appelait des gourgandines. Et certes, la jeune fille qui servait le thé chez Larivière n’avait rien d’une gourgandine. Il l’avait observée plus d’un an, fidèle à ces tartes à l’orange qui sont la spécialité de la maison ; puis fidèle à Mademoiselle Catherine, qui avait tant de goût pour choisir les tartes et qui, sur toutes choses. avait tant de goût ; d’une tarte à l’autre renchérissant sur l’excellence des tartes et sur le goût de Catherine.

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<strong>La</strong> <strong>Folie</strong><br />

dompteur dans sa cabine de bateau, comme Suzanne et la Comtesse dissimulent<br />

Chérubin derrière un fauteuil. Auprès de son fauve, l’odeur et le<br />

poitrail d’un fauve, un peu fauve elle-même, étouffée par lui, rossée par<br />

lui, lui roulant le bar aux bouteilles à travers les jambes, la pipe aux lèvres,<br />

une turbulence, une insolence de mousse, gamin ou gamine, des pitreries<br />

et des inventions de gamin dans le jeu de l’amour, elle était heureuse,<br />

elle était comme folle de bonheur de le rendre fou, successivement<br />

de rage et de tendresse.<br />

À l’idée que le dompteur à fourrure allait remonter (il ne pouvait<br />

pas ne pas remonter !), elle se trémoussait. elle se caressait la taille, les<br />

seins sous la veste blanche ; elle se retira cette veste pour les caresser :<br />

des seins mauresques, comme le visage, qui avaient dix-huit ans si le visage<br />

en avait trente. Pieds nus et pantalons-blancs, une boucle sombre<br />

jusqu’au sein nu, le béret fièrement sur l’oreille, la pipe en coin, quel<br />

étrange mousse ! « Pourvu qu’il monte !» disait le mousse. Il ne restait<br />

qu’une petite heure d’escale avant la visite du tuteur. « Enfin !» cria le<br />

mousse, en se ruant à la porte. On venait enfin de frapper à la porte.<br />

<strong>La</strong> porte ouverte, le nez à peine levé, comme il suffisait de lever le<br />

nez pour offrir tout un visage, et tout le vert de l’océan au regard, au baiser<br />

du fauve amoureux, Mademoiselle Rubis se précipita, cria : « Enfin<br />

!..» et serra d’une étreinte folle un veston gris qui n’était pas celui du<br />

fauve, son visage et l’océan offerts en hommage à une pochette grise,<br />

d’un négligé savant, à une cravate grenadine en tricot de soie. Le veston<br />

n’avait qu’une main de libre, car il tenait de l’autre un paquet de pâtissier,<br />

un bouquet de violettes dans la ficelle du paquet. <strong>La</strong> voix qui partait<br />

au dessus de la cravate était certes une voix mâle, mais ténor ou ténor<br />

léger, et non point basse et profonde comme était celle du dompteur ; plus<br />

de commandement peut-être dans le ténor que dans la basse, où de la tendresse<br />

grondait, même quand elle grondait de colère. Une science du<br />

commandement ; l’autre n’avait que la fureur de commander.<br />

« Eh bien, eh bien !» disait la voix de ténor, tandis que la manche<br />

libre essayait une caresse. <strong>La</strong> voix avait aussi de la tendresse, plus tendre<br />

et moins embarrassée que la manche qui ne savait comment répondre à la<br />

folle étreinte des bras nus et des seins nus. Un tuteur ne s’attend pas à<br />

pareille étreinte, même si, Vidame et Colonel, il n’a point de fêlure à sa<br />

voix de ténor ; du casque et du carquois toujours, du jarret comme un<br />

sous-lieutenant, malgré les cheveux gris et la rosette.<br />

- Mon cher petit caporal dit le mousse, en entraînant le Colonel-Vidame<br />

à, l’intérieur du navire, et sans desserrer sa folle étreinte.

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