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La Folie - MML Savin

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Et dans un vrai sanglot :<br />

- Adieu, Rubis ! Adieu pour la vie !<br />

En bateau 225<br />

Le mousse remit de l’ordre à son béret et à son col, tira sa pipe,<br />

haussa les épaules : « Le temps de descendre et de remonter. À peine le<br />

temps d’allumer ma pipe ...» Mais le mousse eut le temps d’allumer, de<br />

fumer, de peigner les boucles, de s’aller pencher à la terrasse au risque de<br />

tomber à la mer, l’orage ou la crainte dans le vert des yeux. Nul Aristide<br />

en vue, montant et descendant au gré des flots. « Aristide serait-il tout à<br />

fait imbécile ? Neuf heures ... À dix, le tuteur est ici. Pas d’histoires. Que<br />

dirait le tuteur ? Je suis une jeune femme irréprochable, moi...»<br />

Jeune fille plus que jeune femme. Les seize ans d’un mousse, les<br />

dix-huit d’une jeune fille si le mousse masquait son visage de ses boucles,<br />

ou si l’on ne regardait que les yeux verts. Vingt-sept ou trente-deux<br />

au regard d’une autre femme, qui aurait aperçu des rides minuscules, un<br />

avenir de rides plutôt que des rides un peu partout sur le visage, un certain<br />

battu des yeux, la ligne du nez n’était plus aussi pure. À seize ans,<br />

elle se relevait à la française. À trente, elle esquissait une sorte de courbe<br />

légère, plus sensible sur les photographies que sur le visage, comme s’il y<br />

avait du mauresque dans ce nez-là. Le teint d’une espagnole, des cils de<br />

houri, dont Mademoiselle Rubis jouait en comédienne.<br />

Comédienne en tout, par nature plus que par étude, un peu par<br />

étude. Elle changeait de ton comme de costume, plus vite que de costume,<br />

tour à tour ingénue et soubrette du répertoire, des yeux<br />

d’innocence, ou populacière, les poings sur les hanches, ou les poses d’un<br />

ange, se plaisant au travesti et au décor par goût et peut-être par calcul.<br />

Elle aurait brûlé les planches, comme on dit, si elle était montée sur les<br />

planches, car elle était capable de tous les rôles ; Hermione ou Doña Sol,<br />

si l’on voulait, le poignard vers le ciel ou la fiole de poison dans la main,<br />

Célimène parmi sa cour ou la fille de Madame Angot. Chandelles mouchées,<br />

elle n’aurait pas eu sa pareille pour compter la recette et vérifier<br />

les registres.<br />

Froide mais sachant donner la comédie de l’amour, elle avait, en<br />

vraie comédienne, ses faiblesses d’amour. Sa présente faiblesse (qui durait<br />

depuis des années) c’était le dompteur, qui n’était pas un imbécile,<br />

qui était l’un des plus riches fourreurs de Paris, dont on vantait dans tout<br />

le Paris des fourreurs l’adresse et l’intelligence. « Aristide, lui disait-elle,<br />

j’ai donc ce privilège de faire de toi un imbécile ?» Quelle meilleure<br />

preuve de l’amour ? Elle ne l’aimait pas à cause de la richesse. S’il lui<br />

arrivait d’emprunter au fourreur, elle souscrivait un billet, régulière à<br />

payer la moindre dette. Ils ne sortaient jamais ensemble. Elle cachait le

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