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La Folie - MML Savin

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L’Assassin des roses 217<br />

lections ! <strong>La</strong> seule idée m’en faisait frémir ! Je le chargeai peu à peu de<br />

mes courses, de ma cuisine. Il ne cassait pas ; il ne volait pas ; il ne bavardait<br />

pas. Il savait être discret. Nous étions à peu près du même âge. Il<br />

était Normand comme moi. Je me disais que nous irions ensemble jusqu’au<br />

bout. Hélas !.. Il y a deux au trois ans, à partir du moment où Julien<br />

ne fut plus employé au Collège, il remplaça le Collège par le marchand<br />

de vin. Il faut vous dire que si je pouvais haïr, j’aurais la haine des ivrognes.<br />

Longtemps, je voulus douter. Le vin gagnait Julien, à n’en pas douter.<br />

Il ne se contentait plus de boire chez le mastroquet, ou le soir quand<br />

il rentrait chez lui. Je découvris des bouteilles dans tous les coins.<br />

J’aurais dû me séparer de lui à cette époque-là, hausser la voix, le mettre<br />

en demeure de choisir ou de la bouteille ou de moi. Mais, vous me<br />

connaissez, je déteste la criaillerie, les contestations, encore plus les réprimandes,<br />

les menaces. Prêcher la morale, il me semble que je n’ai pas<br />

le droit. Julien brûlait mes repas, ou négligeait de les cuire. J’acceptais le<br />

veau brûlé ou le colin qui n’était pas cuit. L’ivrogne devenait un peu voleur,<br />

il me semblait que le sucre et le café s’épuisaient trop vite, qu’il<br />

manquait des serviettes ou des draps dans les armoires, mais je n’avais<br />

pas de preuves certaines, et je suis tellement distrait ! Le nombre des bouteilles<br />

augmentant Julien se mit à casser ; il cassait tout. Il me brisa plusieurs<br />

vitrines de ma collection. Je me contentais de fermer les portes des<br />

chambres où se trouvaient les vitrines. Et c’est de là qu’est né le drame !<br />

Julien me demanda les clefs et je lui dis que je les avais oubliées au Collège.<br />

Les jours suivants, même réponse. Le vieux Julien grogna et ne demanda<br />

plus rien. Il fit mes courses et ma cuisine et s’en alla grognant encore.<br />

C’était l’autre soir ; j’avais un travail à terminer et ne descendis<br />

point au jardin quand il fut parti. Le lendemain, à l’aube, qu’est-ce que je<br />

vois, à mon tour de jardin ? Quatre de mes plus beaux rosiers sciés à la<br />

base, toutes leurs roses sur le gravier comme autant de gerbes de roses !<br />

De ces roses Tahiti, qui n’ont point de parfum mais qui sont si belles ...<br />

Et savez-vous pourquoi Julien grognait ? Il avait laissé dans les chambres<br />

fermées deux bouteilles de Pernod. Quand il revint, je lui tendis les bouteilles<br />

et le remerciai de ses services. L’ivrogne, je le supportais. Mais<br />

comment supporter le vandale, l’assassin des roses ?.. Aujourd’hui, je me<br />

reproche d’avoir agi sous le coup d’une émotion trop vive. Si Julien est<br />

ivrogne, j’en suis un peu responsable ? J’aurais dû l’aider, le protéger<br />

contre lui-même. Et si je tolérais les vitrines cassées, les draps volés, le<br />

colin cru et le veau brûlé, n’était-ce pas que je tolérerais tout, même le<br />

massacre de mes rosiers ? Voilà mon drame domestique, qui ne peut<br />

éclairer, je m’en excuse, l’affaire des assiettes et des petits papiers.<br />

Alors Richard, de son plus large sourire :

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