La Folie - MML Savin
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216 La Folie pieds des rosiers, victimes immolées à la splendeur de l’après-midi. Tout à l’heure, Jumièges irait couper les roses fanées, il en recueillait les pétales chaque soir. Déjà, le jardin se reprenait à vivre : un semblant de brise balançait imperceptiblement les feuillages et les roses. Ce n’était pas encore le soir. Ce n’était plus l’après-midi. - Avez-vous un jardinier ? demanda Richard. - Je suis le jardinier de mes jardins, répondit Jumièges en jardinier, plus honoré de ce titre-là que de tous les autres. - Fausse piste, déclara Lebuhotel. Ne vous obstinez pas, Richard. Convenez avec nous qu’il y a du complot sous tout cela, un noir complot. - Et cette chatte est-elle aussi du complot ? - Tu ne consens donc pas à être sérieux ? dit Gaudeau. Visiblement, Richard ne consentait pas. Il fallait être préoccupé comme l’étaient les Protecteurs pour oublier successivement le déjeuner et le dîner. La petite princesse aux trois couleurs n’oubliait pas. Ronron devant, Jumièges s’en alla servir Minette. Quand il revint : - À ce que je vois, dit Richard vous êtes le cuisinier de votre chatte comme vous êtes le jardinier de vos jardins ... Jumièges expliqua que ce n’était que depuis quelques jours, n’ayant plus personne à son service. - Et qui donc était à votre service ? demanda Richard. - Un vieux garçon du laboratoire, qui était depuis toujours à mon service ! - Et ce précieux serviteur est donc mort ? Ou bien a-t-il contracté la manie des voyages, comme moi ? - Oh non ! fit Jumièges, l’air d’un homme embarrassé ou qui se reprocherait quelque chose. Puis, cédant au besoin de confidence : - Ce n’est qu’un drame domestique... Quand je dis un drame !.. Je veux pourtant vous le conter. Il vous instruira de mon caractère. Julien était à mon service depuis trente ans. Il lavait les cristallisoirs, les ballons et les éprouvettes, et j’avais une entière confiance en ce garçon-là. Quand j’habitais rue Gassendi, c’était lui qui expédiait mon ménage, deux fois la semaine. Je n’arrivais pas à obtenir des femmes de ménage qu’elles ne dérangeassent point l’ordre de mes papiers, qui n’était, à leurs yeux, que du désordre. Julien, lui, ne dérangeait rien. Lorsque je louai cette maison et installai mes collections de botanique, ce Julien me devint plus que jamais nécessaire. Une femme de ménage parmi mes col-
L’Assassin des roses 217 lections ! La seule idée m’en faisait frémir ! Je le chargeai peu à peu de mes courses, de ma cuisine. Il ne cassait pas ; il ne volait pas ; il ne bavardait pas. Il savait être discret. Nous étions à peu près du même âge. Il était Normand comme moi. Je me disais que nous irions ensemble jusqu’au bout. Hélas !.. Il y a deux au trois ans, à partir du moment où Julien ne fut plus employé au Collège, il remplaça le Collège par le marchand de vin. Il faut vous dire que si je pouvais haïr, j’aurais la haine des ivrognes. Longtemps, je voulus douter. Le vin gagnait Julien, à n’en pas douter. Il ne se contentait plus de boire chez le mastroquet, ou le soir quand il rentrait chez lui. Je découvris des bouteilles dans tous les coins. J’aurais dû me séparer de lui à cette époque-là, hausser la voix, le mettre en demeure de choisir ou de la bouteille ou de moi. Mais, vous me connaissez, je déteste la criaillerie, les contestations, encore plus les réprimandes, les menaces. Prêcher la morale, il me semble que je n’ai pas le droit. Julien brûlait mes repas, ou négligeait de les cuire. J’acceptais le veau brûlé ou le colin qui n’était pas cuit. L’ivrogne devenait un peu voleur, il me semblait que le sucre et le café s’épuisaient trop vite, qu’il manquait des serviettes ou des draps dans les armoires, mais je n’avais pas de preuves certaines, et je suis tellement distrait ! Le nombre des bouteilles augmentant Julien se mit à casser ; il cassait tout. Il me brisa plusieurs vitrines de ma collection. Je me contentais de fermer les portes des chambres où se trouvaient les vitrines. Et c’est de là qu’est né le drame ! Julien me demanda les clefs et je lui dis que je les avais oubliées au Collège. Les jours suivants, même réponse. Le vieux Julien grogna et ne demanda plus rien. Il fit mes courses et ma cuisine et s’en alla grognant encore. C’était l’autre soir ; j’avais un travail à terminer et ne descendis point au jardin quand il fut parti. Le lendemain, à l’aube, qu’est-ce que je vois, à mon tour de jardin ? Quatre de mes plus beaux rosiers sciés à la base, toutes leurs roses sur le gravier comme autant de gerbes de roses ! De ces roses Tahiti, qui n’ont point de parfum mais qui sont si belles ... Et savez-vous pourquoi Julien grognait ? Il avait laissé dans les chambres fermées deux bouteilles de Pernod. Quand il revint, je lui tendis les bouteilles et le remerciai de ses services. L’ivrogne, je le supportais. Mais comment supporter le vandale, l’assassin des roses ?.. Aujourd’hui, je me reproche d’avoir agi sous le coup d’une émotion trop vive. Si Julien est ivrogne, j’en suis un peu responsable ? J’aurais dû l’aider, le protéger contre lui-même. Et si je tolérais les vitrines cassées, les draps volés, le colin cru et le veau brûlé, n’était-ce pas que je tolérerais tout, même le massacre de mes rosiers ? Voilà mon drame domestique, qui ne peut éclairer, je m’en excuse, l’affaire des assiettes et des petits papiers. Alors Richard, de son plus large sourire :
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Ce n’était pas encore le soir. Ce n’était plus l’après-midi.<br />
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Richard. Convenez avec nous qu’il y a du complot sous tout cela, un noir<br />
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Il fallait être préoccupé comme l’étaient les Protecteurs pour oublier<br />
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Quand il revint :<br />
- À ce que je vois, dit Richard vous êtes le cuisinier de votre<br />
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Jumièges expliqua que ce n’était que depuis quelques jours, n’ayant<br />
plus personne à son service.<br />
- Et qui donc était à votre service ? demanda Richard.<br />
- Un vieux garçon du laboratoire, qui était depuis toujours<br />
à mon service !<br />
- Et ce précieux serviteur est donc mort ? Ou bien a-t-il<br />
contracté la manie des voyages, comme moi ?<br />
- Oh non ! fit Jumièges, l’air d’un homme embarrassé ou<br />
qui se reprocherait quelque chose.<br />
Puis, cédant au besoin de confidence :<br />
- Ce n’est qu’un drame domestique... Quand je dis un<br />
drame !.. Je veux pourtant vous le conter. Il vous instruira de mon caractère.<br />
Julien était à mon service depuis trente ans. Il lavait les cristallisoirs,<br />
les ballons et les éprouvettes, et j’avais une entière confiance en ce garçon-là.<br />
Quand j’habitais rue Gassendi, c’était lui qui expédiait mon ménage,<br />
deux fois la semaine. Je n’arrivais pas à obtenir des femmes de ménage<br />
qu’elles ne dérangeassent point l’ordre de mes papiers, qui n’était, à<br />
leurs yeux, que du désordre. Julien, lui, ne dérangeait rien. Lorsque je<br />
louai cette maison et installai mes collections de botanique, ce Julien me<br />
devint plus que jamais nécessaire. Une femme de ménage parmi mes col-