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La Folie - MML Savin

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<strong>La</strong> <strong>Folie</strong><br />

Depuis cette tournée familiale, Gunther, accaparé par les congrès et<br />

les philologues, mais fidèle à tous, se contentait d’une volée de cartes<br />

postales de temps en temps. Il n’avait de correspondance suivie qu’avec<br />

un cousin germain de sa femme, Frédéric Schmidt, qui vendait des chapeaux<br />

et des cannes aux élégants de Munich et dont la pétulance et la<br />

franchise naturelles convenaient à l’humeur du germaniste. Chaque hiver,<br />

le cousin Frédéric, qui rêvait de Paris, avait son prétexte de cannes et de<br />

chapeaux pour s’en venir flâner à la parisienne, son divan et son couvert<br />

chez le Professeur.<br />

- Vous connaissez mon cousin Frédéric dit Moser, celui<br />

qui est violoniste. C’était le violon, le soir où nous avons joué un trio de<br />

Brahms. Jumièges se souvenait du trio et du violoniste. Depuis qu’ils sont<br />

envoûtés par leur Hitler, ce n’est pas facile de parler franchement de politique<br />

en Allemagne, surtout devant les jeunes. On craint d’irriter, et cela<br />

ne servirait à rien d’irriter. D’ailleurs, ce que je vois et ce que je lis suffit<br />

à m’instruire. Il faut avoir vu de près ce que c’était que leur République<br />

pour comprendre tout en déplorant ! Si la nôtre est pourrie, comme dit<br />

Lebuhotel, quelle pourriture que leur République ! Scandales sur scandales.<br />

Les nôtres ne sont que des enfantillages à côté. Aucune pipe n’aurait<br />

préservé de l’odeur. Par Fréderic j’étais au courant de bien des choses.<br />

C’était pire que tout ce qu’avaient imprimés les journaux. Le cousin a<br />

deux grands fils doux et blonds, comme sont les garçons d’Allemagne.<br />

Quand je les ai vus la pelle à l’épaules je me suis dit : tant qu’ils n’auront<br />

qu’une pelle... Défiler en chantant, au son des fifres, ce n’était pas encore<br />

très grave. J’ai cette chance, en Allemagne, de n’être jamais pris pour un<br />

Français. Dans les brasseries, dans les trains, partout, je pouvais entendre<br />

comme un Allemand pouvait entendre. Jamais un mot contre la France.<br />

Parole de Moser ! Au contraire, une sorte d’admiration-sentimentale pour<br />

nous ; les Anglais responsables de tout, et seulement le regret que les<br />

Français soient toujours des dupes au service de l’Angleterre. Anglais au<br />

Juifs, cela revenait au même. Cet hiver, après avoir annoncé son voyage,<br />

Frédéric écrivit qu’il le repoussait à l’année prochaine, un je ne sais quoi<br />

de triste et de contraint, en nous écrivant cela, qui n’est pas son naturel.<br />

À Munich, ces jours derniers, je retrouvai la même contrainte, une tristesse<br />

qui ressemblait à de l’anxiété. Les deux fils, au double de leur carrure,<br />

un air de sous-officiers, une autorité de geste et de poitrine, une jactance<br />

que je n’aimais pas. À peine si, devant eux, leur père me dit quelques<br />

mots du voyage qu’il avait remis, et, comme j’insistais sur le plaisir<br />

que nous aurions à le recevoir chez nous l’année prochaine : « Oh !<br />

L’année prochaine ! » fit-il, en regardant ses fils. Je n’en tirai rien de<br />

plus, ce jour-là. Le lendemain, c’était un autre homme, affectueux,

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