La Folie - MML Savin
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210 La Folie - Il n’avait pas de solutions. Saint-Séverin a croqué un bout de soutane. Marka s’est défendu, comme si l’assiette l’accusait d’entretenir des relations avec cette Catherine Têtar. - Et les autres ? - Les autres ? ... dit Jumièges en levant les bras. Moser aurait volontiers traité de Jean-foutre Saint-Séverin, Marka, Catherine et les autres Il se contenta de dire : - Si Gaudeau-Barmier n’a pas de solution... Jumièges compléta l’instruction de Moser par la lettre d’Italie. De la part de Moser qui, d’ordinaire, fulminait d’impatience aux ruminations de Lebuhotel, Jumièges se préparait à de la véhémence. Il arrivait à Moser de s’emporter jusqu’au rouge le plus vif, quand Lebuhotel cavalcadait parmi les chambres et soufflait du songe. « Comme si l’Europe tenait dans le fourneau de votre pipe ! s’écriait Moser. Je connais l’Europe, moi. Vous, vous ne bougez pas de votre troisième sur la cour ! Ce sont des sornettes ! Parlez-moi de vos informateurs ! Votre coiffeur est Alsacien, son perroquet allemand, alors vous êtes au fait de la politique Allemande. Et de l’italienne parce que vous achetez des nouilles chez un Italien ! Vous êtes aussi mal informé qu’un ministre des Affaires Étrangères ! Vos imaginations, c’est de la fumés de pipe. De pipe ! » Ce mot de pipe dans 1e sabir de Moser, était d’un comique irrésistible. Lebuhotel lui-même cédait à ce comique. « Ne vous fâchez pas, Moser. Une pipe, c’est très utile pour réfléchir.» À la surprise de Jumièges : - Je serais très curieux de lire cette lettre, dit Moser, le même air que s’il fumait la pipe. - Vous ne jugez pas un complot fantasmagorique ? - Il l’est. Mais tant de choses aujourd’hui me paraissent fantasmagoriques ! Tant de choses, que je me refusais à croire, et qui sont vraies. - À quoi refusiez-vous de croire, Moser ? demanda doucement Jumièges. Moser garda le silence, un instant, comme on le garderait sur la cause d’un chagrin profond. Il n’aurait été ni plus triste ni plus grave si on lui avait demandé : Est-il vrai que la fée bavaroise dont votre fille est la fille n’est pas morte, comme je croyais, mais qu’elle vous a quitté, après un an d’amour, pour l’amour d’un autre ? Ce sont de ces chagrins dont on préfère mourir en silence. - Vous savez, dit Moser, que j’ai deux patries, bien que je me sois battu farouchement pour la mienne. Non pas que je sois un de ces
L’Assassin des roses 211 pacifistes qui n’ont plus de patrie et qui prennent toujours le parti de la patrie des autres, simplement parce qu’ils n’aiment pas la leur. J’ai vraiment deux patries. Celle-ci, la nôtre, que mon grand-père a choisie, plus Allemand pourtant qu’Alsacien, à l’annexion des deux provinces. C’était un Gunther-Amédée Moser, comme moi. Mon petit-fils, si un jour je suis grand-père, sera aussi Gunther-Amédée, quand il porterait l’un des plus vieux noms de France. Mais, comme mon grand-père avait le droit de choisir et de rompre, j’avais le droit de réunir par un second choix, sans rien renier du grand-père. J’ai réuni l’Allemagne et la France, loyalement, sans attendre ces messieurs de la politique, leurs finasseries, leurs cheveux coupés en quatre. Ma femme était Bavaroise, comme la Bavière est bavaroise. Je n’aurai jamais d’autre femme. Et puis-je faire qu’Ilse ne soit pas une Bavaroise et l’image vivante de mon amour ? Or, je reviens de Bavière, j’en reviens blessé, plus douloureusement que par une blessure. Je souffre dans mon amour, dans mes deux patries ; comment vous dire ?.. Je souffre dans ma musique ! Il torturait son sabir pour essayer de dire, mais il ne pouvait mieux dire car, dans la musique, pour Moser, il y avait tout. Jumièges écoutait, une main sur les yeux, comme il aurait écouté de la musique, chez le Professeur. Moser regardait devant lui. - J’avoue que je ne comprends rien au complot du Vatican. ni au général, ni à la marche sur Paris. Mais je ne comprends plus rien à rien. J’en suis à croire que tous les hommes sont fous, que tout est fantastique, que nulle part il n’y a davantage de raison que dans des nuages et des nuages de fumé de pipe ! À cette pipe, l’objet de sa raillerie, il reprit un peu de courage. Et certes il lui fallait du courage pour achever ses confidences. Moser, par son mariage, avait aussi sa famille allemande, celle de sa femme ; ou plutôt presque toute sa famille était allemande, car le grand-père n’avait eu qu’un fils et ce fils avait épousé une Suisse allemande. D’un bout de l’Allemagne à l’autre, il pouvait aller de cousins en cousins. L’été de 1931 ou 32, avant Hitler, une Ilse de dix ans à son bras, il avait rendu visite à la plupart. De Hambourg à Francfort il avait retrouvé des Moser de tous les âges et de tous les métiers, des variantes du père et du grand-père, quelques Gunther-Amédée à s’y méprendre. Des cris d’admiration partout devant la fillette, qui était Bavière, et pourtant la grâce et la gentillesse de la France.
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pacifistes qui n’ont plus de patrie et qui prennent toujours le parti de la<br />
patrie des autres, simplement parce qu’ils n’aiment pas la leur. J’ai vraiment<br />
deux patries. Celle-ci, la nôtre, que mon grand-père a choisie, plus<br />
Allemand pourtant qu’Alsacien, à l’annexion des deux provinces. C’était<br />
un Gunther-Amédée Moser, comme moi. Mon petit-fils, si un jour je suis<br />
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vieux noms de France. Mais, comme mon grand-père avait le droit de<br />
choisir et de rompre, j’avais le droit de réunir par un second choix, sans<br />
rien renier du grand-père. J’ai réuni l’Allemagne et la France, loyalement,<br />
sans attendre ces messieurs de la politique, leurs finasseries, leurs cheveux<br />
coupés en quatre. Ma femme était Bavaroise, comme la Bavière est<br />
bavaroise. Je n’aurai jamais d’autre femme. Et puis-je faire qu’Ilse ne soit<br />
pas une Bavaroise et l’image vivante de mon amour ? Or, je reviens de<br />
Bavière, j’en reviens blessé, plus douloureusement que par une blessure.<br />
Je souffre dans mon amour, dans mes deux patries ; comment vous dire<br />
?.. Je souffre dans ma musique !<br />
Il torturait son sabir pour essayer de dire, mais il ne pouvait mieux<br />
dire car, dans la musique, pour Moser, il y avait tout. Jumièges écoutait,<br />
une main sur les yeux, comme il aurait écouté de la musique, chez le Professeur.<br />
Moser regardait devant lui.<br />
- J’avoue que je ne comprends rien au complot du Vatican.<br />
ni au général, ni à la marche sur Paris. Mais je ne comprends plus rien à<br />
rien. J’en suis à croire que tous les hommes sont fous, que tout est fantastique,<br />
que nulle part il n’y a davantage de raison que dans des nuages et<br />
des nuages de fumé de pipe !<br />
À cette pipe, l’objet de sa raillerie, il reprit un peu de courage. Et<br />
certes il lui fallait du courage pour achever ses confidences.<br />
Moser, par son mariage, avait aussi sa famille allemande, celle de<br />
sa femme ; ou plutôt presque toute sa famille était allemande, car le<br />
grand-père n’avait eu qu’un fils et ce fils avait épousé une Suisse allemande.<br />
D’un bout de l’Allemagne à l’autre, il pouvait aller de cousins en<br />
cousins. L’été de 1931 ou 32, avant Hitler, une Ilse de dix ans à son bras,<br />
il avait rendu visite à la plupart. De Hambourg à Francfort il avait retrouvé<br />
des Moser de tous les âges et de tous les métiers, des variantes du père<br />
et du grand-père, quelques Gunther-Amédée à s’y méprendre. Des cris<br />
d’admiration partout devant la fillette, qui était Bavière, et pourtant la<br />
grâce et la gentillesse de la France.