La Folie - MML Savin
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206 La Folie Sur son échelle, il n’oubliait pas pour autant le complot contre la République. « Les damnés conspirateurs ! S’ils conspirent ... Car je ne me fis qu’à moitié à ce mélodrame du Vatican. Le Vatican serait donc du complot, si j’ai bien compris ?.. Lebuhotel m’a tellement tourné la tête que j’en ai le vertige sur mon échelle C’est voir du curé partout, comme le brave Saint-Séverin ! Et ce général, qui a le tempérament d’un chef (tous les généraux sont de ce tempérament, sans quoi ils ne seraient pas généraux), il aurait ses entrées auprès du Saint-Père, qui bénirait les projets du Grand-Orient ? Tout est possible. Autrement dit : il s’agit d’un complot fasciste agréé par l’Église Romaine. Mais l’Église a condamné le fascisme... Oh ! Le beau bouton ... Déjà veiné de rouge ! Comme si nous étions en automne. Et cette rose superbe que je n’avais pas vue ! » La fraîcheur de l’aube dans un jardin n’est pas aussi propice à la crédulité politique qu’une chambre enfumée de tabac. « Nous aurions dû descendre au jardin et nous accorder le loisir d’une promenade avant de rédiger les télégrammes.» Nous aurons rappelé Moser et Richard pour une farce et nous serons ridicules. Ah ! si tous les hommes cueillaient des roses à l’aube, chaque matin on n’aurait plus à craindre les conspirateurs.» Jumièges rapporta de sa cueillette un plein panier de roses et se mit en quête de vases. Il gardait jusqu’aux boîtes de conserve pour en faire des vases. À la saison des roses il réquisitionnait des bocaux du laboratoires. En fleurissant la salle à manger, il s’arrêta devant les assiettes : « Nous avons mieux fait d’envoyer les télégrammes. Fournier les aurait envoyés. Fournier disait toujours qu’on ne pouvait se reprocher trop de prudence. Je ne reçois personne ici hormis les Protecteurs. Fournier me redirait que ce n’est pas une fois mais toujours que la république est en danger. Et si j’interprétais, à la façon de Lebuhotel, je remarquerais qu’on s’est bien gardé de taper sur un des papiers la devise que je lis sur cette assiette : La République en danger. Et il est vrai que ceux qui cueillent leurs roses à l’aube sont la minorité toujours, même en République ; que le Saint-Père a béni et sacré des généraux vainqueurs ; qu’un curé n’est jamais autant curé que s’il boucle le ceinturon, salue le drapeau, joue au sous-officier et fait brailler des hymnes patriotiques à de pauvres gosses ; et que j’entends moi aussi, même au milieu de mes roses, seulement à ouvrir mon journal, un je ne sais quoi qui ressemble à un craquement, comme si la République craquait, ou l’Europe, ou la paix de la terre. Et le Saint-Pére condamne le fascisme, mais il ne serait plus le Saint-Pére s’il condamnait la guerre, quelle que soit la guerre. Jumièges, ne te laisse pas
L’Assassin des roses 207 endormir par le parfum des roses ! Lebuhotel exagère quand il répète que tout est pourri. Il n’est pas nécessaire que tout le soit pour que le pire soit, tout à coup, 1’esclavage dans la paix ou l’esclavage de la guerre. Est-ce que l’aube serait pour toi la même si elle n’éclairait que des ruines, des esclaves et des cadavres ? » Et Jumièges répondait à Jumièges : « Sous les décombres de ma maison détruite, tous mes rosiers ravagés, mes travaux anéantis, mes livres brûlés, si je pouvais en mourant apercevoir une lueur d’aube, elle serait la même aube toujours pour moi, comme au premier matin, à travers les vitres. Mais s’agit-il seulement de moi ? La vie jusqu’au bout me sera pure et belle, de la pureté, de la beauté des roses blanches. C’est pourquoi je me suis promis de veiller et de surveiller, autant qu’il est de moi, et d’avertir et de protéger ainsi l’insouciante espèce des hommes.» À ce moment-là, haut et grave, une bonté infinie dans son sourire, il était bien, comme disait Lebuhotel, le responsable, celui qui perpétuait l’esprit des fondateurs. Minette sur les genoux, Jumièges était bientôt à son travail, à sa table comme il était à ses rosiers. Lebuhotel l’avait interrompu au milieu d’une phrase, et c’était ainsi qu’il aimait lui-même s’interrompre. Il conseillait cette sorte de méthode à ses élèves. « Qu’un jour tende la main au jour qui suit, disait-il, comme le danseur dans une farandole. Qu’avons-nous à faire, nous autres, physiciens ou biologistes ? Nous avons surtout à continuer. Le plus modeste est le plus utile, s’il continue. Nous formons une suite ; nous travaillons à un ensemble, dont aucun de nous jamais ne verra l’ensemble. Car la science n’est pas de ces travaux qui peuvent être finis. C’est le théologien qui croit qu’il est au dernier mot. Il dit que nous sommes des orgueilleux, mais nous savons bien que nous ne sommes que de modestes travailleurs et que c’est lui, l’esprit d’orgueil. Ils allumeraient encore des bûchers, s’ils osaient, s’ils pouvaient. Nous, nous n’allumons pas de bûchers. Nous n’allumons que notre lampe.» Ce jour-là, entre deux phrases, sa pensée allait aux Protecteurs, à Fournier, à Visconti, au groupe Maubert, à cette petite université, qui avait porté tant d’espoirs, que la guerre avait dissociée, qu’il avait essayé en vain de continuer après la guerre. Que de morts, parmi ceux qui fréquentaient à Maubert ! Des assidus, il ne restait que Richard et Gaudeau-Barmier. Au Maubert de 1920, quelques éclopés qui ne venaient que pour se souvenir, des étudiants ; mais les ouvriers que l’on attirait parfois n’avaient plus le souci de s’instruire. Ce n’était que pêcheurs de politique, qui ne lisaient que les brochures de leurs partis, butés, fermés,
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du Grand-Orient ? Tout est possible. Autrement dit : il s’agit d’un<br />
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une farce et nous serons ridicules. Ah ! si tous les hommes cueillaient des<br />
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Jumièges rapporta de sa cueillette un plein panier de roses et se mit<br />
en quête de vases. Il gardait jusqu’aux boîtes de conserve pour en faire<br />
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En fleurissant la salle à manger, il s’arrêta devant les assiettes :<br />
« Nous avons mieux fait d’envoyer les télégrammes. Fournier les aurait<br />
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prudence. Je ne reçois personne ici hormis les Protecteurs. Fournier me<br />
redirait que ce n’est pas une fois mais toujours que la république est en<br />
danger. Et si j’interprétais, à la façon de Lebuhotel, je remarquerais qu’on<br />
s’est bien gardé de taper sur un des papiers la devise que je lis sur cette<br />
assiette : <strong>La</strong> République en danger. Et il est vrai que ceux qui cueillent<br />
leurs roses à l’aube sont la minorité toujours, même en République ; que<br />
le Saint-Père a béni et sacré des généraux vainqueurs ; qu’un curé n’est<br />
jamais autant curé que s’il boucle le ceinturon, salue le drapeau, joue au<br />
sous-officier et fait brailler des hymnes patriotiques à de pauvres gosses ;<br />
et que j’entends moi aussi, même au milieu de mes roses, seulement à<br />
ouvrir mon journal, un je ne sais quoi qui ressemble à un craquement,<br />
comme si la République craquait, ou l’Europe, ou la paix de la terre. Et le<br />
Saint-Pére condamne le fascisme, mais il ne serait plus le Saint-Pére s’il<br />
condamnait la guerre, quelle que soit la guerre. Jumièges, ne te laisse pas