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La Folie - MML Savin

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L’Assassin des roses 205<br />

Il avait ses rendez-vous à l’aube, comme les amoureux ont les leurs<br />

au crépuscule. « C’est pour cela que les amoureux sont mélancoliques, se<br />

disait-il. À cause de l’heure. L’ombre les gagne. Le visage aimé disparaît<br />

peu à peu dans l’ombre. Ils ont peur de l’avenir qu’ils ne peuvent imaginer<br />

qu’à la ressemblance de l’ombre. Si j’étais amoureux d’une femme je<br />

lui donnerais rendez-vous à l’aube. Le visage aimé sortirait lentement de<br />

l’ombre. Il n’y aurait d’abord qu’une clarté sur nos visages, qui deviendrait<br />

l’or de l’aurore. Nous aurions le courage de croire à nos promesses.»<br />

Il souriait. Quand on aime l’aube, on n’a pas à lui donner rendez-vous.<br />

Elle viendrait sans rendez-vous.<br />

Par bonheur, le colloque de politique ne lui avait pas fait manquer<br />

le rendez-vous. Il ne rentra qu’un instant. C’était pour prendre le sécateur.<br />

Dès que fleurissaient les roses, il profitait de la fraîcheur de l’aube<br />

pour cueillir des roses. Le soir il faisait une dernière fois le tour de ses<br />

deux jardins et choisissait celles qu’il faudrait cueillir le lendemain à la<br />

fraîcheur. Un passant l’aurait vu grimpé à l’échelle et coupant avec des<br />

soins d’amoureux ; mais il n’y avait point de passant à cette heure-là. Il<br />

était presque le seul à ne plus dormir. Minette dormait encore (Jumièges<br />

avait toujours une chatte et toutes ses chattes, l’une après l’autre,<br />

s’étaient appelées Minette). Minette ouvrait un oeil en entendant son maître,<br />

allongeait une patte respectueuse et se rendormait aussitôt. Elle<br />

n’accompagnait pas de si bon matin<br />

« Les autres amoureux, pensait Jumièges, apportent des bouquets à<br />

leurs amoureuses. Moi, c’est l’aube qui m’offre des roses. » Il les cueillait<br />

entre fleur et bouton, à ce moment de la fleur qui est comme l’aube<br />

des roses ; les rouges, qui devaient s’épanouir en gloire, encore gainées<br />

de pourpre sombre ; les blanches, celle qui s’effeuilleraient toutes blanches<br />

dans leur corselet vert qui se rehaussait de carmin quand venait<br />

l’automne.<br />

De l’aube à l’aurore, après le départ des Protecteurs, Jumièges<br />

cueillit des roses, dans ses jardins. « Je n’aurai jamais assez de vases pour<br />

tant de roses ! On croirait que les rosiers me remercient. Moi qui redoutais<br />

parfois la vieillesse. Et je redoutais aussi la solitude. Il est vrai que je<br />

vis seul ; mais suis-je seul ? On ne peut se plaindre d’être seul quand les<br />

rosiers ont tant de roses. J’aimais les fleurs sans savoir que je les aimais<br />

quand j’étudiais les fleurs. Qu’il faut de temps pour arriver à savoir qu’il<br />

n’y a rien de plus beau que la vie, que la plus grande sagesse est de<br />

l’aimer pour elle, comme j’aime l’aube et les roses !»

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