25.06.2013 Views

La Folie - MML Savin

La Folie - MML Savin

La Folie - MML Savin

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

Pousse-Wagon 201<br />

comme s’il avait perçu un craquement, un frôlement, quelque bruit insolite<br />

et sinistre. Puis il rattrapait sa chimère et cavalcadait de plus belle. Il<br />

entrait si adroitement dans les desseins de la conspiration qu’il était<br />

conspirateur. À cette heure de nuit, dans cette maison solitaire, il était au<br />

centre, il découvrait d’un regard toutes les ramifications du complot. Jumièges<br />

avait raison de rappeler la collaboration du hasard à de certains<br />

effets. Par exemple, si l’ami qui écrivait de Rome avait été trompé et jaloux,<br />

ou s’il avait eu un rendez-vous avec sa belle, il n’écrivait pas, et<br />

c’en était fait de la République. À eux trois, ils sauveraient la République.<br />

Mais que de périls, quel enchevêtrement, quelle trame noire et serrée !<br />

Brouillard partout comme dans cette chambre saturée d’un brouillard de<br />

pipe. Lui qui disait : « Le pape ! Le pape ! Vous me faites rire » lorsqu’on<br />

lui parlait du pape, n’aurait pas toléré que l’on suspectât ce qui<br />

n’était peut-être que des ragots du Vatican.<br />

- Les Loges ! Quand j’affirmais qu’elles étaient pourries !<br />

Et qu’est-ce donc qui n’est pas pourri ? Vous et moi qui ne sommes rien.<br />

Donc tout est pourri. Cela conserve pour un temps sa noblesse, son allure.<br />

Mais le dedans ? <strong>La</strong> pourriture est au dedans. Ce qu’on voit n’explique<br />

jamais rien. On nous donne la comédie. Qui tire les ficelles par dedans ?<br />

Des ficelles qui sont pourries.<br />

Il en riait à tout petit rire, en grignotant sa pipe.<br />

- On peut rire ? C’est encore permis ? Croyez-moi : ce ne<br />

sera pas permis longtemps.<br />

Et, changeant brusquement de visage, il lorgnait la porte, comme si<br />

une main tournait le loquet de la porte, un milicien de la Conspiration<br />

prêt à ouvrir et à crier : « Lebuhotel ? C’est vous ? Nous avons un mandat<br />

d’amener pour vous emmener !»<br />

Le jardin devant, le jardin derrière grouillaient sans doute de miliciens.<br />

- Que voulez-vous, mes bons amis ? Tout craque. II faudrait<br />

être sourd pour ne pas entendre craquer. Depuis vingt ans, trente<br />

ans ; j’entends, je sens. Et quand tout aura craqué, quelle puanteur !<br />

Gaudeau-Barmier, les paupières baissées, revoyait deux rangs de<br />

jeunes cadavres à quelques mètres d’une tranchée. Ils ne sentaient pas<br />

encore le cadavre, et qu’est-ce que l’odeur aurait ajouté à cette profondeur<br />

de détresse et d’éternité où il se précipiterait à son tour quand ce serait<br />

l’heure ? « Oui, oui » disait Gaudeau. « Oui, oui » disait Jumièges,<br />

qui avait tant aimé les fleurs qu’il en avait son âme parfumée. À dix fois<br />

moins de discours sur la pourriture et sur le noir dédale de la conspira-

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!