La Folie - MML Savin
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198 La Folie vouloir. Je pouvais réserver à la seule commission d’enquête certains documents comme celui-ci . Il sortit une lettre de sa poche. - La commission décidera s’il y a lieu ou s’il n’y a pas lieu de faire état de ces documents. Puis, après avoir bourré sa pipe, il tira lentement ses lunettes de leur étui. - Une lettre de Rome. Le signataire n’appartient pas à la Société des Protecteurs. C’est un de ces francs-tireurs, que Fournier nous recommandait de garder en francs-tireurs. Amateur en tout, passionné de bel canto, difficile à émouvoir par l’annonce des plus grands malheurs. Il a ses chimères, comme j’ai les miennes, mais les siennes plutôt roses, si les miennes sont au sombre. Ce qu’il m’écrit n’en est que plus grave. Je passe le récit d’une galanterie à l’italienne qui scandaliserait Jumièges... Mais écoutez : Est-il vrai que les Français songent à liquider la République ? Cela me surprendrait de vous et de vos amis. On colporte ici des nouvelles insensées, dont j’ai commencé par sourire. Dix années d’Italie ont pu me costumer en Italien, mais il me reste assez de France sous le costume pour juger de la France en vrai Français. Je le croyais tout du moins. Le Français ne serait-il plus cet animal impropre à toute action politique suivie, qui ne tient à ses opinions qu’un quart d’heure par jour, en ouvrant son journal, et encore ! Celui-là est un enragé de politique ; les autres ne lisent que les chiens écrasés, les spectacles et le courrier des coeurs ! On chuchote que des ligues se forment, dont les militants ne se contentent pas de payer leur cotisation, et que les militants sont innombrables, qu’ils ont appris ce que c’est qu’un mot d’ordre, l’obéissance, même le secret. Il ne s’agit pas des communistes dont les meneurs ne sont que des espions, leurs électeurs de vulgaires Républicains. Non ! Comme il sied en régime républicain, Le parti du mouvement rêverait d’un vaste mouvement contre La République. On dit que le premier travail des Ligues aurait été d’établir la liste complète des vrais Républicains. Elle ne dut pas être longue ! Votre nom doit y figurer en bonne place.. si tout ce que l’on débite à Rome n’est pas de pure fantaisie. J’ai trop d’amitié pour vous pour ne pas vous en avertir. À tout hasard, prenez quelques précautions. On parle aussi (mais ce serait de l’extravagance) d’une sorte de marche sur Paris, motorisée comme il se doit. Trente mille voitures armées investissant Paris à la fois, comme si un rassemblement pareil pouvait passer inaperçu ! On précise même l’occasion, qui serait le retour en France d’un général ou d’un ancien gouverneur, actuellement en mission et bien connu pour son tempérament de chef. On hésite entre gouverneur et général. On ajoute seulement
Pousse-Wagon 199 que le dit général (ou gouverneur) a la confiance du gouvernement, étant Maçon de longue date, et qu’une parti du Grand-Orient est dans le complot. Je m’excuse de vous écrire toutes ses calembredaines. Vous devez penser que le soleil de Rome ne vaut rien à mon jugement. À ne suivre que mon humeur, je rirais bien de l’imbroglio. Une chose m’intrigue : je ne tiens pas ces nouvelles de quelque matamore fasciste mais de gens d’un autre style, généralement dignes de créances qui n’avancent qu’à pas feutrés, qui taisent plus qu’ils ne disent, qui ne disent que ce qu’ils ont des raisons de savoir. Bref, l’Autre Rome serait au courant de toute la machinerie du complot. Un émissaire des conspirateurs aurait été reçu l’autre jour entre deux portes. On ne bénit pas encore le complot, mais une main sacrée se lève déjà, peut-être pour bénir. Je suis tout à fait fou, n’est-ce-pas ? Serait-ce, comme on dit, l’aurore d’une nouvelle France, ou la résurrection de l’ancienne ? Ce n’est pas cette France-là que j’aime. Rassurez-moi au plus vite. Dites-moi que vous aussi, même vous, vous commencez la lecture de votre journal par le courrier des coeurs ! Toute cette lettre entrecoupée de fumée de pipe. La lettre lue, et vidant la pipe au cendrier : - La lettre m’est arrivée avant-hier, précédant d’un courrier les petits papiers. Naturellement, je me proposais de vous la lire. À vous deux et à Moser. J’en aurais écrit quelque chose à Richard. Les autres ! Ni Jumièges ni Gaudeau-Barmier n’étaient autrement surpris. Certains passages de la lettre s’accordaient trop bien avec l’affaire des petits papiers. - Tout l’honneur est pour nous, dit Jumièges, qui ne repoussait plus l’idée d’une trahison. La S.P.E.H, avait ses règles et ses usages, la discrétion poussée jusqu’au détails. Nul cahier où consigner le compte rendu des séances. Il n’y avait nulle part une liste pour la France des sections et des adhérents. Eux-aussi avaient des ruses de conspirateurs. Les noms des responsables mêlés aux autres d’un carnet d’adresses chez chacun des responsables, et seul un détective aurait eu l’esprit de remarquer que certains noms n’étaient pas écrits tout à fait de la même manière, une majuscule a la troisième lettre de ces noms ! Seul le responsable connaissait la ruse, un par section, et la transmettait à son successeur désigné. Il fallait être bien fin pour deviner que les quinze qui se réunissaient parfois au Bar de la Lune (ce n’était jamais la même date) étaient autre chose que des amis de manille ou de belotes, par groupes de joueurs qui se faisaient et se défaisaient. Pas de président ni d’orateur derrière une table. Ces réunions-là étaient principalement des rencontres où l’on discutait très haut de ma-
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d’un autre style, généralement dignes de créances qui n’avancent qu’à<br />
pas feutrés, qui taisent plus qu’ils ne disent, qui ne disent que ce qu’ils<br />
ont des raisons de savoir. Bref, l’Autre Rome serait au courant de toute<br />
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vous commencez la lecture de votre journal par le courrier des coeurs !<br />
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les petits papiers. Naturellement, je me proposais de vous la lire. À<br />
vous deux et à Moser. J’en aurais écrit quelque chose à Richard. Les autres<br />
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Ni Jumièges ni Gaudeau-Barmier n’étaient autrement surpris. Certains<br />
passages de la lettre s’accordaient trop bien avec l’affaire des petits<br />
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- Tout l’honneur est pour nous, dit Jumièges, qui ne repoussait<br />
plus l’idée d’une trahison.<br />
<strong>La</strong> S.P.E.H, avait ses règles et ses usages, la discrétion poussée jusqu’au<br />
détails. Nul cahier où consigner le compte rendu des séances. Il n’y<br />
avait nulle part une liste pour la France des sections et des adhérents.<br />
Eux-aussi avaient des ruses de conspirateurs. Les noms des responsables<br />
mêlés aux autres d’un carnet d’adresses chez chacun des responsables, et<br />
seul un détective aurait eu l’esprit de remarquer que certains noms<br />
n’étaient pas écrits tout à fait de la même manière, une majuscule a la<br />
troisième lettre de ces noms ! Seul le responsable connaissait la ruse, un<br />
par section, et la transmettait à son successeur désigné. Il fallait être bien<br />
fin pour deviner que les quinze qui se réunissaient parfois au Bar de la<br />
Lune (ce n’était jamais la même date) étaient autre chose que des amis de<br />
manille ou de belotes, par groupes de joueurs qui se faisaient et se défaisaient.<br />
Pas de président ni d’orateur derrière une table. Ces réunions-là<br />
étaient principalement des rencontres où l’on discutait très haut de ma-