La Folie - MML Savin

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25.06.2013 Views

190 La Folie leva la main pour demander la parole. « C’est un coup des curés !» On le pressa de présenter ses preuves. Il n’avait qu’une conviction, mais si forte : « Les curés sont toujours dans le coup.» La solution parut trop générale. « Qui demande la parole ?» Tous l’auraient demandée, mais ce n’eut été que pour dire qu’ils n’avaient que des solutions trop générales. Jumièges attendait les révélations de Lebuhotel. « Lebuhotel, je vous donne la parole.» Mais Lebuhotel ne s’avança qu’à proposer une commission de trois Protecteurs, que l’on chargerait de poursuivre l’enquête. C’était l’avis de Gaudot à qui la proposition semblait sage. Par vote à bulletins secrets (c’est la règle) on désignerait trois noms qui furent Jumièges, Lebuhotel et Gaudot. Deux bulletins blancs (Justin et Bouvin, on ne se trompe plus sur l’origine .) Le Professeur en était à cet endroit de son récit, expliquant qu’il ne restait plus qu’à lever la séance et brûler les bulletins de vote dans la cheminée. Il contait si bien que l’on assistait à la séance. Ilse, dans son fauteuil, se représentait les gestes, les mines, les exclamations. Moser mimait en véritable acteur, changeant de ton à chaque personnage, passant tous les discours à son sabir, qui relevait tout, donnait de la couleur et du pittoresque aux moindres réparties, une sorte de comique ou de diablerie. Ilse battait des mains, s’animait, souriait a chacun de ces Protecteurs qu’elle connaissait depuis tant d’années. Elle ne savait plus si cette salle à manger, où elle écoutait le Professeur était celle de Jumièges ou la leur, deux couverts seulement sur la nappe, le repas oublié, mais elle n’oubliait pas la République en danger et, malgré la bonne humeur de son père, elle partageait les inquiétudes de Lebuhotel et de Gaudot-Barmier. Elle avait de la sympathie pour l’un et pour l’autre, à ne pouvoir dire qui des deux elle préférait. Jumièges levant la séance, Moser se leva, Ilse aussi se leva, et c’est alors qu’ils s’aperçurent de cette fumée qui n’était pas celle des bulletins de vote, mais une âcre fumée qui filtrait par les jointures de la porte. Ilse ne se souvenait même pas d’avoir fermé cette porte derrière elle ! Elle bondit à la porte et l’ouvrit : « Ma soupe ! Ma soupe au lait !» Une fumée, comme d’un volcan, roula de la cuisine à la salle à manger. Et quelle odeur ! L’odeur de pourriture, dont Lebuhotel se protégeait avec sa pipe, n’était qu’un parfum, comparée à cette odeur-là ! Ce n’était plus l’odeur du lait qui vient de verser, qui avertit qu’une fois de plus le lait a versé et que l’on a tort de s’éloigner, fût-ce à deux pas, quand on devrait surveiller le lait ; une odeur qui n’est que ménagère et, pour ainsi dire, quotidienne. L’odeur qui roulait du volcan, à volutes

La soupe au lait 191 épaisses (Ilse disparut parmi l’épaisseur) charriait du paillasson brûlé, du haut-de-forme au charbon, une horrible senteur de plusieurs Dianes calcinées. De la plus réussie des soupes, il ne restait qu’une espèce de corne, qui fondait dans de l’aluminium fondu. Si Jumièges n’avait pas levé la séance, la cuisine était en flammes. Ilse, héroïque, allait saisir le manche de la casserole. Son père, à temps, lui retint le bras, ferma le robinet du gaz, ouvrit la fenêtre, prenant le commandement de la manoeuvre, comme il sied à un officier de zouaves, même s’il n’est qu’un interprète déguisé. « Ilse, mon enfant, sors de la cuisine. Ne respire pas cette fumée.» Ilse sortit, et joignant la prudence à l’initiative, le Professeur transporta le volcan sur le rebord de la fenêtre. Dans la salle à manger, Ilse, interdite, navrée, honteuse des larmes qui lui montaient. Pourquoi des larmes ? Quand le Professeur revint, elle se blottit à l’épaule de son père et pleura. - Tu pleures pour une soupe brûlée ? Cela n’en vaut pas la peine. - Si tu savais, Pa, tout ce qu’il y avait dans cette soupe .. Jamais je n’avais réussi une soupe comme celle-là. Tu l’aurais trouvée si bonne que tu m’aurais appelée ta petite fée. Je ne suis même pas la fée Vermicelle. - Mais tu es toujours ma petite fée ! Ne pleure pas, disait le Professeur, toute sa tendresse dans sa voix. Puisque je te dis que tu es ma fée pour toujours et que la République n’a pas encore la scarlatine.. *

<strong>La</strong> soupe au lait 191<br />

épaisses (Ilse disparut parmi l’épaisseur) charriait du paillasson brûlé, du<br />

haut-de-forme au charbon, une horrible senteur de plusieurs Dianes calcinées.<br />

De la plus réussie des soupes, il ne restait qu’une espèce de corne,<br />

qui fondait dans de l’aluminium fondu. Si Jumièges n’avait pas levé la<br />

séance, la cuisine était en flammes. Ilse, héroïque, allait saisir le manche<br />

de la casserole. Son père, à temps, lui retint le bras, ferma le robinet du<br />

gaz, ouvrit la fenêtre, prenant le commandement de la manoeuvre,<br />

comme il sied à un officier de zouaves, même s’il n’est qu’un interprète<br />

déguisé. « Ilse, mon enfant, sors de la cuisine. Ne respire pas cette fumée.»<br />

Ilse sortit, et joignant la prudence à l’initiative, le Professeur transporta<br />

le volcan sur le rebord de la fenêtre. Dans la salle à manger, Ilse,<br />

interdite, navrée, honteuse des larmes qui lui montaient. Pourquoi des<br />

larmes ? Quand le Professeur revint, elle se blottit à l’épaule de son père<br />

et pleura.<br />

- Tu pleures pour une soupe brûlée ? Cela n’en vaut pas la<br />

peine.<br />

- Si tu savais, Pa, tout ce qu’il y avait dans cette soupe ..<br />

Jamais je n’avais réussi une soupe comme celle-là. Tu l’aurais trouvée si<br />

bonne que tu m’aurais appelée ta petite fée. Je ne suis même pas la fée<br />

Vermicelle.<br />

- Mais tu es toujours ma petite fée ! Ne pleure pas, disait le<br />

Professeur, toute sa tendresse dans sa voix. Puisque je te dis que tu es ma<br />

fée pour toujours et que la République n’a pas encore la scarlatine..<br />

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