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La Folie - MML Savin

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<strong>La</strong> soupe au lait 185<br />

d’interminables voyages à travers l’Europe qu’il ne consentait à interrompre<br />

qu’à la veille de la rentrée d’octobre. À son départ, Richard laissait<br />

au Protecteur Président une liste de villes et de séjours probables où<br />

le toucher, si besoin, poste restante.<br />

Jumièges ne comptait guère sur l’arrivée de Richard. Sans Richard,<br />

Gaudot n’était jamais assuré de lui-même. « Il se peut que je pousse au<br />

tragique, avait dit Gaudot. C’est ma pente.» Il lui fallait la présence de<br />

l’autre mathématicien son ami, pour ne pas céder à cette pente. Le sourire<br />

de Gaudot-Barmier était mélancolique et pâle, un soleil de bonté voilé de<br />

brouillard, comme doit briller le soleil au pays des morts ; celui de Richard<br />

sans aucun brouillard, fusant en rire à tout propos.<br />

Il restait de l’étudiant chez Richard, qui était solide et grand, alerte,<br />

infatigable marcheur, liseur autant que marcheur, d’une lecture aussi<br />

étendue et variée que ses voyages, curieux de tout, informé de première<br />

main, terrible à ces doctes, quand il en rencontrait, qui ne sont plus rien<br />

sans leur fichier de dix mille fiches ; il leur dressait des pièges insensibles,<br />

où les doctes s’empêtraient, sans même sentir qu’ils étaient pris au<br />

piège ; le triomphe de Richard insensible comme ses pièges. Comment se<br />

méfier de ce bon diable qui ne faisait profession que de nage et de<br />

voyage, les mathématiques parce qu’il faut avoir un métier, le reste pour<br />

soi ou pour le commerce de quelques amis, seuls à connaître le dedans de<br />

son humour et de sa culture ? Sur Goethe, ou Shakespeare, jamais Moser<br />

n’était arrivé à battre Richard qui retrouvait un mot de Stendhal perdu<br />

dans la masse de toute l’oeuvre de Stendhal, une anecdote de<br />

Saint-Simon sans hésiter parmi les vingt volumes des Mémoires. Le vice<br />

de Richard était la promenade à pied, en compagnie d’un promeneur de<br />

son choix, et la nuit de préférence. À trois heures du matin, il n’était pas<br />

rare d’apercevoir Richard aux côtés de son cher Gaudot, rue de Dragon<br />

ou des Saints-Pères, Gaudot sur le trottoir, Richard au long du caniveau.<br />

Une promenade qui durait depuis huit heures du soir ; Moser moins souvent,<br />

qui avait hâte de retrouver ses pétards, ses bombes de philologie et<br />

surtout sa fille. Le Professeur avait de l’estime pour Richard et pour Gaudot-Barmier,<br />

et quelque chose dans l’estime qui ressemblait à du respect.<br />

Le philologue, si prompt à pourfendre ses confrères, écoutait parfois les<br />

deux mathématiciens avec l’admiration naïve d’un écolier. <strong>La</strong> mathématique<br />

lui en imposait. « Quand des esprits de cette trempe sont d’accord<br />

disait-il à Ilse, il n’y a rien à craindre. Fausse alerte. <strong>La</strong> République n’est<br />

pas en danger. C’est la faute de Lebuhotel, que j’avais tort de traiter de<br />

Jean-Foutre. Au fond, je l’aime bien. Ce n’est pas à proprement parler un<br />

Jean-Foutre, et je le préfère à Jestin et à Bouvin, que j’aime bien aussi, et<br />

qui ne sont peut-être pas des Jean-Foutre, malgré leur tactique de ne pen-

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