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La Folie - MML Savin

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18<br />

<strong>La</strong> <strong>Folie</strong><br />

travagant sans doute mais ainsi : le Colonel avait deux sorties. Officiellement<br />

il était du 13. Le courrier, les impôts, la police ; bon. Et soucieux<br />

d’être du 13, pour les étrennes, les collectes, le va comme vient de tous<br />

les jours. S’il sortait et rentrait par 13 ! Merci, mon Colonel... Souci de<br />

l’ordre, comme il est naturel chez un Colonel. Scrupule plus que souci.<br />

Mais enfin, il y avait l’autre sortie. Du boulevard de Vaugirard à la rue du<br />

Château, un passage en coude, le passage Alexandre, doublait la rue<br />

d’une autre rue, compliquait tout. En plein jour, des gens entraient qui ne<br />

ressortaient plus ; d’autres sortaient que vous n’aviez jamais vu entrer.<br />

C’était un dédale, un nid à rats, une machine à conspirer. <strong>La</strong> police y renonçait.<br />

Des tilleuls jusqu’au passage, entre deux haies pas si lépreuses,<br />

qui fleurissaient au mois de mai, églantines et liseron, un vrai chemin,<br />

quoique si court, dévalait, s’enfonçait, se perdait dans une cour suintante<br />

et glauque, été comme hiver, à donner froid. Une porte de fer au bout,<br />

repeinte chaque année en vert jardin par Nestor, comme les deux bancs<br />

sous les tilleuls. Un marteau rouillé, que la rouille soudait à la porte, souriait<br />

du même sourire de fille que les cintres. Ça devait être la pleine<br />

campagne, par ici, au temps des folles filles. S’il existe un enfer pour les<br />

folles d’amour (à Dieu ne plaise !) c’est bien ce nid à rats. On y voit Nestor,<br />

une fois l’an, qui chante on ne sait quel chant à ses pots de peinture.<br />

On n’y voit jamais le Colonel. « Ce n’est pas une preuve, se dit la <strong>La</strong>ngouste.<br />

Ce serait même une preuve du contraire, qu’on ne les voye jamais<br />

le jour. Ils nous amusent avec leur peinture Si la porte ne servait à rien, ils<br />

auraient fait construire un mur. Je ne dis pas qu’ils s’en servent.»<br />

Elle avait l’imagination aussi forte que l’haleine, dont elle vous persilladait<br />

son monde, Saint-Jean ou pas. Mais elle avait plus de raffinement<br />

à l’exactitude qu’à l’odeur. Elle s’emportait à ses chimères pour<br />

enfin leur passer la bride. Soudain : « Qu’est-ce que je fais là, à rêver<br />

comme une bécasse ? C’est l’heure du lait et des poubelles. J’ai besoin de<br />

mon temps pour réfléchir.» De l’arrière-cour elle tira d’immenses poubelles,<br />

croulantes, cabossées, qui semblaient des têtes monstrueuses, comme<br />

de géantes guerrières protégées du heaume ; elles grinçaient, elles ricanaient<br />

horriblement, d’être malmenées ainsi, sans doute, entraînées par<br />

cette créature qui ne les dépassait que de sa tête, mais quelle tête ! Il leur<br />

tombait en route une perruque où il y avait de tout, des épluchures, des<br />

chiffons infects, de la frisure aussi blonde que des cheveux d’ange. Les<br />

cinq monstres en rang sur le trottoir : « Voilà pour l’ordure » dit-elle, et<br />

s’en fut, victorieuse, chercher son lait.

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