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La Folie - MML Savin

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<strong>La</strong> soupe au lait 179<br />

était dans la valise. <strong>La</strong> porte est ouverte, la valise sur le paillasson. « Au<br />

revoir, Jacques.»<br />

Elle n’a pas osé dire : Mon Jacques. Elle sait que Jacques, qui est<br />

son Jacques, est ce soir le Jacques de son oncle Poliche. Jacques, en silence,<br />

a pris les deux mains d’Ilse, il les garde dans les siennes. Mais que<br />

fait Jacques, qui se penche ? Il embrasse longuement les deux mains<br />

d’Ilse. Jamais il ne lui avait embrasse les mains !<br />

Les mains à la rampe, elle le regarde qui descend, elle n’entend<br />

plus son pas sous la cochère. Elle n’aura que deux couverts à mettre, si<br />

Moser revient.<br />

8 h 20, dit la pendulette. Jacques aura son train. 8 h 30 : Le Professeur<br />

ne revient pas. Elle a mis les deux couverts : cela fera peut-être revenir<br />

le Professeur ... Et, tout à coup, Ilse dégringole, se précipitant<br />

comme si Jacques avait oublié son portefeuille sur la table. À la cochère,<br />

pourtant, ce n’est pas dans la direction de Jacques qu’elle court, mais à<br />

l’inverse, vers le pont. Au milieu du pont, elle s’arrête, interroge sa montre<br />

: 8 h 33. À cette heure-là, Gribiche n’est qu’une chatte à son maître ou<br />

à ses chatons, qui jamais ne s’éloigne de la rue du Moulin-de-Beurre ;<br />

l’homme aux béquilles est au lit sans ses béquilles.<br />

« Les voyageurs pour Le Mans, <strong>La</strong> Suze... en voiture.» Le<br />

haut-parleur parle pour le dessus et le dessous du pont. 8 h 40 : « Au revoir,<br />

Jacques !» À peine le temps de dire (comme il est si doux de dire),<br />

non pas un train mais deux passent ensemble au-dessous du pont. Quel<br />

est celui de Jacques ? L’un des deux n’est qu’un train vide puisqu’il n’est<br />

pas celui de Jacques. On ne dit pas au revoir à un train vide. «Au revoir,<br />

Jacques !» Elle le dit, parce qu’il est doux de le dire; triste de la tristesse<br />

de Jacques, et d’une autre tristesse, comme si elle avait dit au revoir dans<br />

le vide, ses deux mains que vient d’embrasser Jacques appuyées à la<br />

grosse pierre du pont.<br />

Serait-ce une pierre qui chante ? <strong>La</strong> pierre a reconnu les deux mains<br />

d’Ilse. Elle a chanté : « Ilse au nom de fée, souviens-toi que tu es heureuse.<br />

Moi qui ne suis qu’une pierre, je me souviens que tu as dit que tu<br />

étais heureuse.» Ilse a bien besoin que les pierres chantent, qu’elles se<br />

souviennent. Si elle était une fée, elle aurait su quel des deux trains était<br />

le train de Jacques, elle verrait Jacques, elle serait avec Jacques, elle lui<br />

chanterait son chagrin à voix de fée. Ce serait le même chagrin mais enchanté<br />

par la musique du chagrin. Elle lirait dans le coeur de Jacques.<br />

Elle n’aurait plus peur de ces longues Dianes, flexibles et dures, imposantes<br />

et dédaigneuses, qu’elles soient des Dianes au cerf ou des filles de

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