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La Folie - MML Savin

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<strong>La</strong> <strong>Folie</strong><br />

Le soleil, Dieu plutôt, mais non pas Poliche ! Il persuadait facilement de<br />

sa peine, qui devait ressembler à celle de Jacques comme leurs yeux se<br />

ressemblaient. Pourquoi n’avait-il pu ? Pourquoi ne pouvait-il jamais plus<br />

? <strong>La</strong> même politique d’absence et de silence, depuis que Jacques avait<br />

quitté la marine. Poliche avait un pied-à-terre à Paris, quelque part dans<br />

l’Île Saint Louis. Il ne vint jamais a Paris. Du moins, s’il y venait, il ne<br />

l’avait jamais écrit à Jacques. Un mot, de temps en temps, à la partie correspondance<br />

d’un mandat-carte ; des mandats de roi-mage, inattendus,<br />

qui ne suivaient point l’ordre des fêtes.<br />

Sur le plus récent : Je ne suis plus que le vieux Poliche. À ce mandat<br />

Jacques boucla sa valise et partit. Lui aussi avait un prétexte de<br />

voyage. Il avait promis d’aller restaurer sur place quelques meubles anciens<br />

dans un château des environs de la Flèche. Mais il prit son billet<br />

pour Sillé-le-Guillaume, non pour <strong>La</strong> Flèche. À Sillé, il laissa sa valise à<br />

la consigne et fit à pied la route de Sillé à <strong>La</strong> Châtelière. Il poussa la<br />

grille sans tirer la corde de la cloche. Il avança sur la pointe des pieds,<br />

comme une ombre au pays des ombres. « Rien n’a changé, se disait-il. Le<br />

même dessin des parterres, les mêmes fleurs dans les parterres, le même<br />

parfum de tilleul et d’acacia, comme toujours au mois de juin.»<br />

Poliche était assis sur la margelle du bassin où Jacques était tombé,<br />

petit garçon, en essayant de rattraper son bateau. Que faisait Poliche, si<br />

absorbé qu’il n’entendit pas, même quand Jacques, tout proche, appela :<br />

« Poliche !» Jacques répéta « Poliche !» Alors, Poliche, comme un enfant<br />

que l’on prend en faute, sursauta, se retourna. «Jacques ! Mon petit Jacques<br />

!» Le souvenir de ce moment-là, qui n’avait pas plus de deux semaines,<br />

a sa place à part dans la valise. Tout bonheur, comme les souvenirs<br />

de paradis, mais qu’il est amer ! Car Poliche, une fois de plus, n’avait pas<br />

menti, qui n’était plus que le vieux Poliche, les cheveux tout blancs, un<br />

air de douleur dans la joie. On a beau éclater de joie, on est un vieil<br />

homme qui risque de mourir de joie. On ne peut effacer d’un coup toutes<br />

ces petites rides de douleur, dont une douleur tenace, ancienne déjà, a<br />

ridé, jour après jour, tout un visage. Le visage de l’autre Poliche, celui<br />

qui était jeune, autrefois, comme un visage qui voudrait reparaître, qui<br />

apparaît malgré les rides, sous les rides.<br />

« Toi, tu n’as pas changé, dit Poliche, qui contemple ce grand Jacques.<br />

Les épaules plus larges, les miennes d’autrefois. Ce qui te manquait<br />

pour avoir exactement ma taille, quand je n’avais pas l’habitude de me<br />

tenir si mal, le dos courbé ... Non ! Ne dis rien. Ne dis pas que je n’ai pas<br />

changé. Ce serait mentir. Je sais. Et désignant le bassin : Tu vois. Je

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