25.06.2013 Views

La Folie - MML Savin

La Folie - MML Savin

La Folie - MML Savin

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

172<br />

<strong>La</strong> <strong>Folie</strong><br />

À cette question, Jacques devint rouge et sentit des regards en gerbe<br />

sur lui.<br />

- Mais... répondit l’oratorien ... le doute n’est pas un péché.<br />

Ce n’est qu’un mouvement naturel de notre esprit.<br />

- Je dis le doute religieux, précisa l’aînée de la gerbe.<br />

Quand, par exemple, un esprit diabolique doute de l’existence de Dieu.<br />

L’oratorien suspendit le couteau qui pelait une poire, puis, attaquant<br />

franchement la poire :<br />

- Le doute de Satan est un péché, parce que Satan sait que<br />

Dieu existe et le sait mieux que nous. Il a vu dieu, dont nous n’avons que<br />

la parole. Son doute ou sa négation ne sont que des mensonges. Douter de<br />

la vérité quand sa lumière nous inonde, cela serait diabolique. Mais douter<br />

quand on est sans lumière est une précaution légitime. Il y a du mérite<br />

à douter, même de Dieu : un Ancien, qui doutait de la divinité de ses idoles,<br />

avait du mérite.<br />

Il mangea un quartier de poire à lèvres gourmandes, pendant que<br />

les huit filles de la gerbe se pinçaient les leurs. À lèvres pincées :<br />

- Je croyais... j’avais entendu dire ... que le doute était le<br />

plus grand avant le plus grand des péchés, la négation.<br />

- Quelle hérésie ! <strong>La</strong> négation de bonne foi est une erreur,<br />

non un péché. C’est tout confondre. Il faudrait être Jésuite pour soutenir<br />

hérésie pareille ! Ou plutôt ... il faudrait manquer du moindre bon sens.<br />

Le brave homme ne sut jamais qu’il avait réconcilié Jacques et<br />

Dieu, puisque l’Oratoire n’avait pas le même Dieu que les Jésuites. Il<br />

avait rouvert devant Jacques la grille de <strong>La</strong> Châtelière, que son père<br />

s’apprêtait à lui fermer.<br />

Aux regards de ses soeurs, à leurs sourires, pendant la controverse,<br />

Jacques comprit que Poliche, qui était à table et ne soupçonnait rien, était<br />

directement en cause. Il adopta la politique du silence toujours et partout.<br />

À quoi bon alerter Poliche ? À confesse, il débita les péchés d’usage ; il<br />

mentit ; il joua la comédie de la conversion ; il se priva de ses desserts<br />

pour plaire au Dieu Jésuite ; il baissa les yeux. Il défendait en sauvage<br />

son Dieu Poliche et sa part de paradis. Il avait de la peine à convaincre. Il<br />

était le premier de sa classe, travail et conduite ; on félicitait le second, on<br />

ne le félicitait pas. Suspect une fois, suspecté toujours. <strong>La</strong> conclusion, au<br />

bas d’un bulletin exemplaire, était : «Pourrait mieux faire.» Il dit à son<br />

confesseur que la grâce l’avait touché, qu’il songeait à devenir prêtre. Le<br />

confesseur eut un regard d’aigle : « Méfiez-vous, dit-il. Il n’y a que trop<br />

peu de temps que vous apparteniez à l’esprit du mal.»

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!