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La Folie - MML Savin

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<strong>La</strong> <strong>Folie</strong><br />

Aux premiers pantalons de Jacques, il y eu de la cabale, toute la<br />

gerbe décidée et serrée, afin de persuader Jacques que Poliche n’était<br />

supportable qu’au temps des culottes courtes mais que cette façon de dire<br />

était ridicule de la part d’un grand garçon ; la mère au secours : « l’oncle<br />

n’est que votre oncle, mes enfants, il est aussi le parrain de Jacques. Un<br />

parrain est beaucoup aux yeux de Dieu. C’est presque un père.» <strong>La</strong> gerbe<br />

sourit de ses huit sourires. « Il finira par rendre notre oncle ridicule ...»<br />

« Rien ne peut rendre votre oncle Jacques ridicule.»<br />

<strong>La</strong> gerbe, par accord tacite, décida qu’on se contenterait de sourire.<br />

Et le moyen de ne pas sourire, mais comme on sourit de bonheur, au bonheur<br />

? Jacques avait reconnu aussitôt la même espèce de bonheur dans<br />

celui du Professeur et de sa fille. C’était une intimité simple, où tout était<br />

simple, qui effaçait l’inégalité des âges par l’harmonie des humeurs. Au<br />

collège ou chez son père, Jacques craignait de montrer sa joie s’il avait de<br />

la joie : une soeur lui aurait demandé le motif de sa joie, comme s’il était<br />

défendu d’être joyeux sans aucun motif. Ou s’il se mettait à chanter, il<br />

s’arrêtait, parce qu’une autre soeur n’allait pas manquer de lui dire qu’il<br />

chantait faux, comme si l’on n’avait pas le droit de chanter si l’on chante<br />

faux. Ou bien, le livre qu’il lisait n’était plus de son âge ou ne l’était pas<br />

encore. À <strong>La</strong> Châtelière, Jacques avait le droit de chanter faux, de rire<br />

sans motif, de ne pas rire, de ne pas chanter, d’ouvrir tous les livres, de<br />

s’y plaire ou de s’y déplaire.<br />

Timide partout, il ne l’avait jamais été, il n’avait jamais songé à<br />

l’être seul avec son oncle Poliche. Il pouvait dire : je n’ai pas faim ; j’ai<br />

sommeil. Cela ne relevait d’aucun tribunal. Il pouvait poser des questions<br />

du matin au soir : « Poliche, explique-moi... Poliche, je n’ai pas compris...<br />

» Poliche essayait d’expliquer, Poliche avouait que lui non plus ne<br />

comprenait pas. Poliche ne s’étonnait pas qu’un petit garçon soit maladroit,<br />

que certains jours, on ne sait comment, il cassa tout ce qu’il touche,<br />

qu’il s’arrache la peau des genoux, qu’il se déchire, qu’il soit dépeigné,<br />

qu’il tombe dans le bassin en rattrapant son bateau, qu’il se coupe en taillant<br />

des paniers dans des marrons d’Inde. Il ne déclamait pas. Il pansait le<br />

doigt ou le genou ; il administrait la teinture d’iode. Il apprenait au garçon<br />

comment on ramène un bateau sans tomber dans le bassin. Il n’avait<br />

jamais l’air de croire que le petit garçon était une race exécrable, qu’il<br />

faudrait supprimer ou enfermer. Il savait qu’à sept ans, et même à douze,<br />

on a besoin d’une caresse, parfois, ou d’un mot qui soit une caresse.<br />

Le pacte de <strong>La</strong> Châtelière était celui d’une liberté mutuelle. « Cet<br />

après-midi, j’accompagne le garde-chasse » disait Jacques. Et Poliche : «

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