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La Folie - MML Savin

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Un voleur d’enfant 167<br />

Il était avoué comme il avait été capitaine, héroïquement. Il appartenait<br />

tout le jour à sa clientèle. Ensemble avoué et avocat, si un procès<br />

lui semblait seulement incertain, il plaidait pour ne pas plaider. Il parlait<br />

toujours contre les divorces, d’un entêtement de mule à réunir les plus<br />

ardents à se séparer, artiste consommé dans l’art de réparer les ménages<br />

et d’y rétablir la paix ; au surplus, ne tenant registres ni comptes et ne<br />

réclamant jamais ses honoraires. Bourru, brusque, il jouait le sourd ; un<br />

ours mais vénéré de tous, à la ville et à la campagne. Il se levait à trois<br />

heures, tous les matins, et se réservait deux heures à lire les Pères de<br />

l’Église dans le texte, grec ou latin. Une piété d’ours, dont il ne fatiguait<br />

personne. Son projet quand il était jeune, avait été d’entrer dans les ordres.<br />

Mais son confesseur lui prescrivit le mariage, non le couvent. Il se<br />

maria donc et vécut, dans sa famille et dans son métier, un peu moine<br />

dans une sorte de couvent.<br />

Lui qui n’oubliait rien des affaires de ses clients, se trompait au<br />

nombre de ses enfants, à leurs prénoms, à leurs âges. On lui aurait demandé<br />

si Jacques, ce petit garçon, était son fils ou le fils de Jacques, il<br />

aurait aussi bien répondu, le prénom aidant, que ce petit garçon qu’il<br />

voyait quelquefois était le fils de son frère Jacques, ramené soudain à<br />

conclure que c’était son propre fils par ceci que son frère était resté célibataire.<br />

Les huit soeurs et demi-soeurs n’avaient pas eu l’honneur de l’exil<br />

et de l’internat. Elles avaient grandi à huit, en gerbe. À chaque vacance,<br />

Jacques retrouvait cette gerbe solidement liée, lui délié. C’était beaucoup<br />

de grandes soeurs pour un seul petit frère, qui se sentait trop petit frère,<br />

examiné, admonesté, chaque soeur de la gerbe prononçant au nom de la<br />

gerbe indivisible. Contre, il n’avait que le secours de sa mère, mais la<br />

gerbe des huit, aussitôt : « naturellement, tu es du parti de ton fils. Tu lui<br />

pardonnerais les pires sottises. Nous, les filles !...»<br />

<strong>La</strong> mère se résignait à n’avoir que huit filles et, pour le bonheur de<br />

son fils, se laissait voler le petit Jacques. Il revenait en visite, le dimanche,<br />

accompagnant son oncle Poliche. Poliche avait été la jument préférée<br />

de l’oncle. Oncle Poliche, une invention de Jacques, quand il était ce<br />

bambin de cinq ou six ans, toujours juché sur les épaules de son oncle.<br />

Oncle Poliche était devenu Poliche, tout court, Jacques ayant le privilège<br />

de tutoyer, comme s’il était le fils. On pouvait facilement s’y méprendre,<br />

par le jeu des ressemblances. Jacques, trait pour trait, ressemblait à son<br />

oncle et au grand-père, qui était grand et mince ; le père de Jacques, brun<br />

et trapu à l’image de la grand-mère, les huit filles de ce côté-là.

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