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La Folie - MML Savin

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<strong>La</strong> <strong>Folie</strong><br />

C’était donc un télégraphiste qui avait proclamé son nom, à la façon<br />

des hérauts d’armes du temps jadis, le nom à tous les échos, comme<br />

les traditions le voulaient. Jacques était devenu pâle à ce nom, plus grave<br />

encore que sur le paillasson du Professeur. Il redoutait d’ouvrir et de lire.<br />

Il avait lu ce qu’il redoutait. Vicomte de <strong>La</strong> Châtelière, puisqu’il l’était,<br />

Dieu témoin qu’il n’avait aucune envie de l’être ! Mais il n’était, à lire ce<br />

télégramme à travers une buse de larmes qu’un petit garçon comme il<br />

l’avait été.<br />

À son quatrième (le vert tendre n’avait pas de chance !) croisé<br />

bleu ; ce qu’il faut pour quelques jours de Sillé-le-Guillaume, une quinzaine<br />

peut-être, c’est déjà toute une valise. Du placard à la valise, du lavabo<br />

à l’armoire, c’était des routes autour de Sillé, toujours vacances (on<br />

avait mis Jacques pensionnaire à <strong>La</strong>val dès la dixième), toujours l’oncle<br />

dès que Jacques était en vacances. À <strong>La</strong> Châtelière Jacques était chez lui<br />

plus que chez lui. Une grande maison dans un parc, à six kilomètres de<br />

Sillé ; les gens du village disaient le château. Était-ce un château ? C’était<br />

chez l’oncle.<br />

Aux vacances, Jacques, les premiers jours, habitait Sillé, impatient<br />

de se lever de table pour filer à <strong>La</strong> Châtelière, et ne rentrant qu’à l’heure<br />

de se remettre à table. <strong>La</strong> visite de l’oncle ne tardait guère. Un charmeur,<br />

l’oncle Poliche ! Conteur, rieur, d’une politesse exquise, attentif à son<br />

élégance, il amusait, il déridait les soeurs et demi-soeurs de Jacques, qui<br />

étaient lentes à se dérider ; il arrivait à faire rire son frère ; il était seul à<br />

pouvoir le faire. À la fin de sa visite : « Je vous vole Jacques» disait<br />

l’oncle. Et sa belle-soeur lui répondait : « Il est à vous, vous savez bien.<br />

Vous me le prêterez quelquefois.»<br />

<strong>La</strong> mère de Jacques qui était la seconde femme de Monsieur Lerrand,<br />

avoué (il avait épousé successivement les deux soeurs) était une<br />

petite femme alerte et vive, aussi gaie de son naturel que l’oncle Jacques.<br />

Elle avait une confiance absolue en son beau-frère. On disait, à Sillé,<br />

qu’elle était un peu fiancée à Jacques de <strong>La</strong> Châtelière quand mourut la<br />

soeur aînée, de la typhoïde, laissant quatre filles dont la plus âgée n’avait<br />

pas cinq ans. <strong>La</strong> soeur prit la place de la soeur, eut à son tour quatre filles,<br />

Jacques le dernier, et fut vraiment la mère des neuf, sans distinguer. Les<br />

bonnes dames disaient encore que Monsieur Lerrand s’était à peine aperçu<br />

de la mort de sa femme, tant il était distrait, tant la seconde était la copie<br />

de la première.

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