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La Folie - MML Savin

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16<br />

<strong>La</strong> <strong>Folie</strong><br />

Pour la <strong>La</strong>ngouste, il y avait, depuis longtemps, le problème du Colonel.<br />

Elle admirait le Colonel. Elle avait des réserves d’enthousiasme<br />

pour l’armée d’Afrique. Elle se serait prosternée aussi frétillante qu’Irma<br />

devant Nestor, si Nestor avait voulu. Pas question de chipoter ni de médire,<br />

mais quel supplice, quand on admire, de ne pouvoir rien dire, ou si<br />

peu dire que ce n’était rien. Évidemment, <strong>La</strong> <strong>Folie</strong> faisait honneur au 13.<br />

C’était le fleuron de la couronne. Au 7, au 11, vous passiez la porte (porte<br />

sans colonnes), vous tombiez au fond d’un puits, plus ou moins profond<br />

selon l’immeuble, mais c’était un puits : trois ou six étages sur cour et<br />

sur rue, vous aviez tout vu. Au 13, il y avait cette échappée, où du ciel,<br />

qui était du ciel, jouait parmi du feuillage, et surtout, si vous approchiez,<br />

ce beau regard de la façade, qui vous était doux à regarder, comme on<br />

regarderait la soie de la robe ou l’écharpe d’une jolie femme.<br />

M. Jacques, l’encadreur, qui avait son atelier au quatrième sur la<br />

cour (un artiste !) disait que c’était la joie de ses yeux, quand il travaillait,<br />

cette FoIie d’autrefois parmi les arbres. C’est lui qui disait : une robe<br />

blanche. Il s’y connaissait. Un grand jeune homme, qui devait bien avoir<br />

vingt-cinq ans. Il savait tout faire, des cadres, des meubles, et ce n’était<br />

pas d’aujour-d’hui, il avait sa clientèle. À le voir bondir, d’un pied sur<br />

l’autre, les cheveux au vent, le regard pervenche, entre Gavroche et<br />

prince, si frais, toujours si propre, même en bleu de travail, <strong>La</strong>ngouste<br />

l’aurait appelé : « Mon petit » comme elle disait aux télégraphistes. Mais<br />

elle se retenait. « Monsieur Jacques » disait-elle. Car il venait des Messieurs<br />

à collier de barbe chez Monsieur Jacques. « Jacques Lerrand ?<br />

C’est au quatrième, escalier D, devant les platanes.» Quand on porte collier<br />

de barbe, c’est qu’on est amiral, ou bien de ces peintres qui exposent,<br />

au Salon, des portraits de dames ou de Président du Sénat ou de la République<br />

! Elle faisait parfois le ménage chez Monsieur Jacques. « Dites,<br />

c’est la pagaille là-haut ! Si vous montiez ? Je n’ai plus une paire de<br />

chaussettes.» Il retirait sa chaussure et montrait un orteil qui dépassait<br />

d’un trou. Il riait de ses yeux pervenche. Un bel orteil, poli, soigné, qui<br />

brillait au bout de la chaussette, comme une bague. « Je monte. Je<br />

monte.» Dare-dare, elle montait, essuyant ses pattes de langouste à son<br />

tablier.<br />

Elle contait le soir aux commères : « C’est un plaisir. Il laisse tout<br />

comme c’est. Pas un tiroir fermé. Je reprise, je lave, je range. Je pourrais<br />

lire ses lettres, si je voulais. Que de jolies choses, fragiles ! Il a confiance.<br />

Je ne lis rien. Je ne casse rien.» Elle ajoutait, en confidence : « Et savez-vous<br />

? Un bon jeune homme, qui a des moeurs. Il a sa petite amie ;<br />

c’est normal. Mais il n’a qu’elle. On me couperait la tête avant que je dise

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