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La Folie - MML Savin

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Vert tendre 153<br />

costume, des chaussures, n’importe quoi sans l’avis, le choix, la compétence<br />

d’Ilse ! Autant naviguer sans pilote ! Me voici, rue de la Lune, à<br />

regarder les Brioches de la Lune... Irai-je ainsi jusqu’à la République ?»<br />

Il fit le point. Il était dans les parages du Conservatoire, mais il ne savait<br />

pas si Ilse devait ou non travailler, l’après-midi, au Conservatoire. « Tu<br />

devrais t’habiller à Dorian Gray. Trottoir de gauche, en sortant du<br />

Conservatoire, avant Fashionable.» Cette phrase d’Ilse, comme une<br />

bouée au matelot, qui remonta le courant, trottoir de droite, jusqu’à hauteur<br />

d’une étroite boutique, et traversa comme à la nage, parmi les voitures,<br />

glissant, se faufilant, invectivé par les chauffeurs, sifflé par un agent :<br />

c’était tout Jacques, parfait exécutant, et ravi d’obéir en désobéissant.<br />

Les mannequins de la vitrine n’étaient blonds ni bruns, des cheveux<br />

verts, d’autres rouges, pas d’état-civil, à peine des mannequins, des paniers<br />

ou des carcasses de quelques joncs tressés, qui indiquaient des formes,<br />

et, là-dessus, des étoffes drapées évoquaient vestes ou pantalons.<br />

Les visages de paille n’étaient que pour rire de ces visages que l’on expose<br />

dans les vitrines. « À la bonne heure ! dit Jacques. Ilse ne s’est pas<br />

trompée. Et d’ailleurs, quand se trompe-t-elle ? Ici, c’est à moi d’avoir<br />

l’air que je veux avoir ; stupide si je veux, mais on ne l’impose pas. »<br />

Un monsieur entre deux âges replaçait le loquet à la porte, ouvrit la<br />

porte à Jacques, le sourire total dès son premier regard vers Jacques, qui<br />

vit tout Jacques et s’en empara.<br />

C’était une espèce de Riquet-à-la-Houppe colossal, non pas difforme<br />

mais énorme, roux d’un roux intense de la houppe au soulier, les<br />

yeux roux, du son aux joues, aux mains, des houppes aux phalanges, et le<br />

ruissellement du même roux, successivement chemise, cravate, veste,<br />

pantalon, chaussette, les différences par les étoffes différentes. Le grand<br />

Jacques lui arrivait à la cravate. « Monsieur !» dit le colosse fauve, en<br />

s’inclinant.<br />

Il n’avait pas la voix d’un fauve ; une voix suave au contraire, instrumentale,<br />

à vous jouer de tous les instruments, du basson à la clarinette.<br />

Il ne disait pas, il modulait, l’orchestre entier sous chaque mot. Son<br />

«Monsieur», pour recevoir, aurait duré le temps d’une fugue, s’il avait<br />

osé. Volontiers, une double fugue, à l’entrée de Jacques. Après son<br />

«Monsieur», le bras levé, un chef d’orchestre qui suspend l’orchestre, le<br />

fauve émerveillé attendit le désir de Jacques.<br />

- Ne plus avoir si chaud, dit Jacques.<br />

- Oui ! oui ! oui ! répondit le colosse, sur trois tons, soulevant,<br />

déchaînant l’orchestre.

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