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La Folie - MML Savin

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<strong>La</strong> <strong>Folie</strong><br />

Le menu fretin des adorateurs aurait été bien surpris que la même<br />

Gribiche fût une chatte si experte en l’art de toutes les caresses. Elle en<br />

avait d’ardentes, d’autres, les plus tendres, à seulement frôler de son cou<br />

de chatte le cou de l’homme. L’homme, d’une main savante, rendait parfois<br />

une caresse pour tant de caresses ; cela suspendait d’extase le jeu des<br />

orgues. Bien sûr, il avait un petit paquet dans sa poche, et plus d’un ; Ilse<br />

aussi, quand elle était du rendez-vous, apportait son paquet. Mais ce<br />

n’était pas pour ce que l’homme tirait du paquet ! Il fallait souvent insister,<br />

le gras du jambon en évidence. Elle aurait préféré les caresses de<br />

l’homme au gras, ou simplement ce privilège, qu’il lui accordait, de frôler,<br />

de tendre une patte jusqu’à l’oreille, d’enfouir son front d’amoureuse<br />

entre le cou et le menton.<br />

Ilse se disait : « Elle l’aime. Ce n’est pas une chatte qui a faim ou<br />

qui ne vient que pour les friandises. Elle les accepte : cela fait partie de la<br />

politesse. Est-ce que je ne mange pas les bonbons et les gâteaux de Jacques,<br />

puisqu’il est entendu que je suis gourmande ! Mais je me priverais<br />

de gâteaux ma vie durant pour une minute de plus au cou de Jacques. Gribiche<br />

doit avoir quelque part, dans le quartier, son coussin au coin du feu,<br />

son assiette de lait, ses chatons à elle, sa vie de chatte à elle, comme j’ai<br />

la mienne. Elle se dérobe si je veux la caresser. Si je venais seule, désormais,<br />

à ce rendez-vous, elle ne viendrait plus. Ce n’est pas avec moi<br />

qu’elle a ses rendez-vous.»<br />

Gribiche sur l’épaule, l’homme avait son long visage de bonheur, la<br />

même paix, la même bonté dans la façon d’entr’ouvrir les lèvres, la même<br />

royauté dans ses yeux noirs ; mais, de temps en temps, quand il rendait<br />

une caresse, une main à cette chatte sur son épaule, était-ce de douleur<br />

qu’il fermait un instant les yeux, comme si le mouvement était la cause<br />

d’une douleur ? Le visage aux yeux fermés était un visage de souffrance,<br />

où la souffrance n’enlevait rien au bonheur.<br />

« L’autre jour, se disait Ilse, je m’étais proprement coupée, chez<br />

Jacques au tranchant de cette vitre cassée : une coupure aussi méchante<br />

qu’Ilse méchante. J’en dansais de souffrance. Est-ce que j’en avais moins<br />

de bonheur ? Quand il se mit en devoir de me laver la coupure, j’avais des<br />

larmes qui me coulaient au long du nez. Jacques, qui n’est pas toujours<br />

aussi tendre, mit tout à coup un baiser sur mes larmes ... Ah ! que j’avais<br />

du bonheur ! Et maintenant, entre Gribiche et les béquilles, je suis heureuse.<br />

Jacques, Nestor, la demoiselle, le Colonel, j’ai tout donné pêlemêle<br />

aux beaux yeux noirs pour qu’ils les brûlent, et tout de suite, à seu-

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