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La Folie - MML Savin

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<strong>La</strong> <strong>Folie</strong><br />

balancement, que la mécanique était en route. Et, quand elle eut vérifié un<br />

moment la régularité de la mécanique, d’une voix familière :<br />

- Bonjour, dit-elle.<br />

Et lui :<br />

- Bonjour. C’était leur mot de passe pour toujours.<br />

Elle n’avait pas dit son nom, ni ce jour-là ni un autre. Qu’importe<br />

un nom ? Elle ne disait jamais « à demain », « à bientôt » ou « je ne suis<br />

pas venue parce que j’étais en voyage », ou « j’ai beaucoup de travail,<br />

c’est l’époque des examens.» Est-ce voyager, travailler, qui importe ?<br />

Elle n’interrogeait pas. Il n’allait pas vers elle ; c’était elle qui venait à<br />

lui, pour dire ; et, chaque fois, elle ne dit que ce qui importe. Elle le dit<br />

aussitôt. Qui apporte un bouquet le donne et n’en parle plus. Elle disait et<br />

ne parlait plus. Une fois, elle avait dit : « Je l’aime depuis que je l’ai vu.»<br />

Il y avait bien deux ans qu’elle l’avait dit. Une autre fois : « Ne pas dire<br />

que l’on aime, quand on aime, ce n’est pas encore aimer.» Un jour (c’était<br />

quelques jours après Pâques) : « Il m’aime.» Elle était grave, presque<br />

sombre. Elle accompagna sans rien dire, à sa manière. Rien de plus naturel,<br />

puisqu’elle avait dit ce qui importait. Mais, au milieu du pont, et regardant<br />

cette pierre massive, borne ou billot, comme si elle parlait. à la<br />

pierre : « Si un jour il ne m’aimait plus je me tuerais.» Son compagnon<br />

était si proche derrière elle qu’il n’avait pas pu ne pas l’entendre. Elle le<br />

regarda. Rien n’avait bougé sur le beau visage long ; pas le moindre signe<br />

de surprise, de réprobation ou de compassion. Allait-il parler ? Mais que<br />

pouvait-il dire qui fût plus éloquent que son visage de bonheur ? Il<br />

s’appuya à la pierre, plus dressé qu’assis. Ce n’était qu’une épave<br />

d’homme, s’il acceptait d’être une épave. « J’ai de la chance, dit-il enfin.<br />

Ils ont posé cette pierre pour moi. Je ne l’aurais pas aussi bien choisie si<br />

je l’avais choisie moi-même.»<br />

Quelle douceur ! Que de délicatesse à ne jamais parler que de soi et<br />

de ses chances ! Cette pierre, que toutes les mères d’un quartier maudissaient,<br />

qui si facilement serait la première et la dernière marche avant la<br />

porte de la mort, ce n’était plus une pierre maudite, mais un don ; il en<br />

remerciait la pierre, les hommes, comme il remerciait le soleil être le soleil,<br />

malgré la fournaise et la sueur.<br />

Depuis ce jour d’après Pâques, Ilse passait à côté de la pierre maudite<br />

sans frayeur, sans voir autre chose, au-dessus de la palissade, que le<br />

ciel et les nuages. Elle ne sentait plus le désir de monter sur la pierre, et<br />

encore de se pencher, comme elle avait fait le lendemain de l’aventure du<br />

petit César. (Elle aurait enjambé, là-haut, pour dominer un moment a califourchon,<br />

si les nuages ne lui avaient semblé tout à coup d’immenses et

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