La Folie - MML Savin
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140 La Folie Deux silhouettes sous les platanes. À ce couple, deux pas du même pas sur les pavés, Ilse trembla, non point à cause du Colonel, qu’elle avait aussitôt reconnu mais de l’autre, qu’elle ne connaissait pas, qui ne fut d’abord qu’un costume de religieuse ou de pensionnaire puis une grande jeune fille dont on oubliait le costume quand on la voyait, qui était mince et fine, et presque élégante malgré le costume. Au front près, de la taille du Colonel ; le même front ; le même dessin des sourcils qu’elle fronçait, comme elle baissait les paupières, importunée par l’éclat du soleil et méprisant l’importun soleil, les pavés inégaux, les murailles lépreuses. À la bordure d’ombre, elle leva soudain le front et les paupières. Un instant, elle dut voir Ilse à la fenêtre, mais sans la distinguer de l’appui ou de l’encadrement de la fenêtre : un tablier qui aurait séché à la fenêtre, elle ne l’aurait pas regardé autrement. À sentir ce regard sans regard qui passait sur elle, Ilse tressaillit. C’était un regard qui donnait froid, qui engourdissait, qui rendait stupide. Et quels beaux yeux, pourtant, sous la frange des cils ! Verts ou bleus, on ne savait dire ; à peine un peu de couleur dans une lueur, l’or et l’argent mêlés comme aux galons de son grand-père. Ilse recula, ne voulant plus voir. À son tour elle baissa les paupières. Quand elle aurait brûlé ses yeux, aurait-il été en sa puissance de ne pas revoir ? Comme elle avait souhaité de voir, elle avait vu, elle ne cesserait de voir. En vain Ilse ordonnait à Ilse de se taire ; une Ilse rebelle et méchante, qui avait tout vu, détaillait à Ilse impitoyablement ce qu’elle avait vu et tirait de folles conséquences. « Elle est belle, celle-là. Elle ressemble à cette Diane au cerf que nous admirions au Louvre, l’autre jour, Pa et moi. » Et Pa me disait : « Voilà ce qu’on nomme une belle femme. C’est un peu encombrant, quand on n’est pas plus haut que le Professeur Moser. Un garçon comme Jacques doit s’intéresser à ce genre Diane. Il ne t’a jamais fait de confidences, Ilse ?..» « Souviens-toi, Ilse. Tu riais, à réveiller le gardien de la salle. Tu pensais que Jacques n’avait plus besoin de te faire de confidences. Un mot en l’air, quelquefois, et qui d’abord paraît si comique, plus tard, quand on y songe, c’était un mot plein de sens, qui avertissait de l’avenir. Je riais trop. Il n’y avait pas de quoi rire. Jacques, c’est vrai, ne m’a jamais fait de confidences. Mais quelle terrible confidence, ce matin ! C’était un garçon pétrifié, comme je ne me doutais pas qu’il pouvait être. Il aurait vu son père ou son oncle La Châtelière à la fenêtre de La Folie, il n’aurait pas été stupéfait davantage. Une fille qu’il apercevait pour la première fois ! Ou peut-être la connaissait-il ; c’est encore pire. »
Un mot en l’air 141 Ilse plaidait pour son Jacques, contre Ilse la méchante, mais les arguments se détruisaient au fur et à mesure ; la méchante avait de la réponse à tout. « Ils se connaissaient. Elle n’a pas été longue à expédier Nestor. Et Jacques, quelle hâte ! Lui qui n’est jamais pressé...» Comment se délivrer de la méchante ? Si elle ne pouvait lui imposer silence, elle pouvait au moins essayer de la distraire ; mais quel moyen ? La pendulette eut pitié d’Ilse. Elle profita d’un regard perdu pour indiquer qu’il allait être trois heures. Ilse la remercia par un sourire. « Trois heures, dit-elle tout haut, s’adressant peut-être à la méchante. Je suis sauvée.» *
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<strong>La</strong> <strong>Folie</strong><br />
Deux silhouettes sous les platanes. À ce couple, deux pas du même<br />
pas sur les pavés, Ilse trembla, non point à cause du Colonel, qu’elle avait<br />
aussitôt reconnu mais de l’autre, qu’elle ne connaissait pas, qui ne fut<br />
d’abord qu’un costume de religieuse ou de pensionnaire puis une grande<br />
jeune fille dont on oubliait le costume quand on la voyait, qui était mince<br />
et fine, et presque élégante malgré le costume. Au front près, de la taille<br />
du Colonel ; le même front ; le même dessin des sourcils qu’elle fronçait,<br />
comme elle baissait les paupières, importunée par l’éclat du soleil et méprisant<br />
l’importun soleil, les pavés inégaux, les murailles lépreuses. À la<br />
bordure d’ombre, elle leva soudain le front et les paupières. Un instant,<br />
elle dut voir Ilse à la fenêtre, mais sans la distinguer de l’appui ou de<br />
l’encadrement de la fenêtre : un tablier qui aurait séché à la fenêtre, elle<br />
ne l’aurait pas regardé autrement. À sentir ce regard sans regard qui passait<br />
sur elle, Ilse tressaillit. C’était un regard qui donnait froid, qui engourdissait,<br />
qui rendait stupide. Et quels beaux yeux, pourtant, sous la<br />
frange des cils ! Verts ou bleus, on ne savait dire ; à peine un peu de couleur<br />
dans une lueur, l’or et l’argent mêlés comme aux galons de son<br />
grand-père. Ilse recula, ne voulant plus voir. À son tour elle baissa les<br />
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de ne pas revoir ? Comme elle avait souhaité de voir, elle avait vu, elle ne<br />
cesserait de voir.<br />
En vain Ilse ordonnait à Ilse de se taire ; une Ilse rebelle et méchante,<br />
qui avait tout vu, détaillait à Ilse impitoyablement ce qu’elle avait<br />
vu et tirait de folles conséquences. « Elle est belle, celle-là. Elle ressemble<br />
à cette Diane au cerf que nous admirions au Louvre, l’autre jour, Pa et<br />
moi. »<br />
Et Pa me disait : « Voilà ce qu’on nomme une belle femme. C’est<br />
un peu encombrant, quand on n’est pas plus haut que le Professeur Moser.<br />
Un garçon comme Jacques doit s’intéresser à ce genre Diane. Il ne t’a<br />
jamais fait de confidences, Ilse ?..»<br />
« Souviens-toi, Ilse. Tu riais, à réveiller le gardien de la salle. Tu<br />
pensais que Jacques n’avait plus besoin de te faire de confidences. Un<br />
mot en l’air, quelquefois, et qui d’abord paraît si comique, plus tard,<br />
quand on y songe, c’était un mot plein de sens, qui avertissait de l’avenir.<br />
Je riais trop. Il n’y avait pas de quoi rire. Jacques, c’est vrai, ne m’a jamais<br />
fait de confidences. Mais quelle terrible confidence, ce matin !<br />
C’était un garçon pétrifié, comme je ne me doutais pas qu’il pouvait être.<br />
Il aurait vu son père ou son oncle <strong>La</strong> Châtelière à la fenêtre de <strong>La</strong> <strong>Folie</strong>, il<br />
n’aurait pas été stupéfait davantage. Une fille qu’il apercevait pour la<br />
première fois ! Ou peut-être la connaissait-il ; c’est encore pire. »