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La Folie - MML Savin

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Un mot en l’air 139<br />

de ferveur et de bonheur, ne pouvaient pas défendre que l’on montrât son<br />

bonheur. Au contraire : ils aimaient cette enfant qui transportait avec elle<br />

son paradis de la musique comme elle transportait son violoncelle.<br />

Souvent, elle faisait un brin de conduite à l’un ou l’autre de ses<br />

maîtres préférés. L’un, qui ne se cachait pas d’être un peu gourmand,<br />

poussait Ilse devant lui dans une pâtisserie, et là, c’était des concours de<br />

gourmandise, à qui serait le plus gourmand. <strong>La</strong> plupart du temps, Ilse<br />

s’avouait battue. Elle riait, nullement choquée que son vainqueur en<br />

gourmandise fût l’auteur de quatuors à cordes que les connaisseurs égalaient<br />

aux plus beaux : c’était le même homme, qu’elle admirait aussi<br />

pour sa gourmandise. Elle aimait se sentir la petite Ilse dans le bon regard<br />

de ce maître inlassable, si doux, si exact, qui aurait pu la tenir aux exercices<br />

les plus ingrats des journées entières.<br />

Ilse était tout à fait d’accord avec la <strong>La</strong>ngouste quand elle disait à<br />

ses camarades : « il suffit qu’on fronce les sourcils pour que je sois stupide.»<br />

Dieu merci ! Le Colonel n’était pas son maître de musique. Ilse<br />

avait une ruse à elle, quand elle devinait qu’on fronçait les sourcils : elle<br />

était si petite qu’elle n’avait qu’à regarder tout droit devant elle ; elle ne<br />

voyait plus le visage du sourcilleux interlocuteur et se réfugiait au paradis<br />

de sa musique.<br />

Elle avait oublié de s’y réfugier quand elle vit Liliane et le Colonel,<br />

de sa fenêtre. Elle était triste et désemparée. Elle n’avait pas de musique<br />

dans son coeur. Depuis deux heures elle allait d’une chambre à l’autre,<br />

elle prenait un livre et ne lisait pas ; elle s’asseyait dans le petit fauteuil,<br />

qui n’avait plus de sortilèges ; elle donnait un coup d’oeil à la rue ; la rue<br />

était une fournaise d’or où ne brûlait que l’or sur la poussière ou la cendre<br />

du dernier passant. Elle revenait à la fenêtre de sa chambre. Vers une<br />

heure, elle y revint juste pour apercevoir Jacques, en complet bleu, qui<br />

passait le porche et ne l’aperçut point. Le coeur battant, derrière la porte,<br />

elle attendit Jacques, qui ne monta point. Il ne lui avait pas dit qu’il aurait<br />

à sortir. Elle ne lui avait pas dit non plus qu’elle n’irait pas au Conservatoire<br />

cet après-midi. Et maintenant qu’il était sorti, pourquoi s’obstiner à<br />

regarder le pavé de la cour, les platanes au fond ? Pour guetter le retour<br />

de Jacques, rien ne valait la fenêtre du bureau ; entre le mur et le volet<br />

fermé, il y avait assez de jour ; on tenait toute l’enfilade jusqu’au réverbère-frontière,<br />

qui de son rond-point minuscule, dominait Pasteur et<br />

Vaugirard. Qui attendait-elle, à la fenêtre de sa chambre ?

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